Retour sur un coup médiatique
Avec la dictée quotidienne, analyse d'un exemple de communication politique et de sa consternante réception médiatique.
Quand la première version des nouveaux programmes a été publiée au printemps 2015, le Ministère de l'Éducation nationale avait essuyé de fortes turbulences médiatiques.
Pour la parution de la seconde version, le 18 septembre 2015, la ministre a cette fois pris les devants en publiant une tribune dans « Le Monde » (« Najat Vallaud-Belkacem veut « des dictées quotidiennes à l’école »), en accordant une interview matinale à « Europe 1 » et en déclarant enfin, lors de la conférence de presse :
« Dans ces nouveaux programmes il y a désormais une dictée quotidienne »
Dès lors, le débat médiatique a fait rage sur ce chiffon rouge de l’Ecole et partout la « dictée quotidienne » a fait les gros titres de la télévision ou de la presse1, faisant oublier tout le reste. Même le FN s’y est laissé prendre !
Seul problème, comme on l’a vu depuis : la « dictée quotidienne » ne figure nulle part dans les nouveaux programmes, ce dont les médias ne se sont rendu compte… qu’après coup2. Mais peu importe : le ministère a – entretemps – relativisé le propos de Najat Vallaud-Belkacem et, dans le même temps, commandé un sondage sur les nouveaux programmes, dans lequel les Français approuvent à 93% « l’instauration de "dictée quotidiennes" à l’école primaire » (sic)3. Une journaliste du « Café pédagogique » a même pu en conclure à « l'impressionnant soutien des Français aux réformes de Najat Vallaud-Belkacem ».
Bref, une séquence médiatique révélatrice d’une certaine communication politique moderne mais également – ce qui est beaucoup plus regrettable – du fonctionnement de certains médias, peu regardants voire complaisants avec cette communication. On peut se demander par quel miracle certains journalistes, au lieu de sentir floués par leur instrumentalisation, peuvent être admiratifs du « coup politique » (mais pas médiatique, bien sûr...) de cette « fine communicante ». Véronique Soulé a même pu parler, devant cette séquence médiatique ayant fait oublier la réforme du collège, de « communication radieuse. »4
Comme disait l'un des personnages des Lettres persanes : « Ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l'esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor et qu'il en ait besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et ils le croient. »
Mais ce n'est pas grave car les élèves n’ont jamais eu aussi peu d’heures de français pour pouvoir espérer lire un jour et comprendre Montesquieu.
Article édité le 5 octobre 2015 : ajout de l'article de Véronique Soulé.
Notes
[1] A la télévision ou à la radio :
Dans l’ensemble des médias :
« Najat Vallaud-Belkacem pour une dictée quotidienne » (« Libération » du 18 septembre 2015)
« Najat Vallaud-Belkacem favorable aux "dictées quotidiennes" à l'école » (« RTL » du 18 septembre 2015)
« École: une dictée quotidienne pour les primaires » (« BFM » du 18/09/15)
« Dictée quotidienne, calcul mental et lecture à voix haute au programme » (« JDD » du 18septembre 2015)
« Dictée à l'école: "Le 'lire, écrire, compter' a toujours été la priorité des enseignants" » (« L’Express » du 18 septembre 2015)
« La ministre de l’Éducation veut l’instauration d’une dictée quotidienne en primaire » (« Le Figaro » du 18 septembre 2015)
« "Une dictée par jour" : les syndicats "abasourdis" » (« Le Point » du 18 septembre 2015)
« Nouveaux programmes : une dictée par jour pour les élèves de primaire » (« VousNousIls » du 19 septembre 2015)
« Programmes: dictée, calcul mental et lecture quotidiens au menu des primaires » (« BFM » du 18 septembre 2015)
« Une dictée par jour et du calcul mental dès la rentrée 2016 » (« iTélé » du 18 septembre 2015)
« Même à droite, la dictée fait l’unanimité » (« Libération » du 18 septembre 2015)
Enquête « Enseignants, parents d'élève, êtes-vous favorables à l'instauration de la dictée quotidienne ? » (« Le Monde » du 18 septembre 2015)
« Deux semaines après la rentrée, nouvelle réforme des programmes » (« TF1 » du 18 septembre 2015)
« Bernard Pivot : « La dictée doit être ludique » » (« La Dépêche » du 18 septembre 2015)
« Une dictée tous les jours à l'école primaire, l'idée qui rend les instituteurs perplexes » (« FranceTVInfo » du 19 septembre 2015)
« La dictée, un mythe et plusieurs réalités » (« Le Figaro » du 23 septembre 2015)
« La dictée rassure les nostalgiques, mais c’est un pis-aller didactique » (« Le Monde » du 26 septembre 2015)
« La dictée, une passion française » (« Le Monde » du 26 septembre 2015)
[2] Et avec plus de recul critique :
« Dictée à l’école : arrêtons de politiser la pédagogie » (Marie-Caroline Missir sur son blog de « L’Express » du 19 septembre 2015)
« "Dictée quotidienne" : le coup politique de Najat Vallaud-Belkacem » (« Le Monde » du 19 septembre 2015)
« L’orthographe, la ministre et les programmes » (Paul Devin sur son blog « Mediapart » du 21 septembre 2015)
« Sébastien Sihr : « Avec la dictée, la ministre fait un coup de com » (« L’Humanité » du 21 septembre 2015)
« La dictée quotidienne, une leçon de com' aussi vieille que l'école à papa » (« Slate » du 21 septembre 2015)
« Les nouveaux programmes dénaturés par Najat Vallaud-Belkacem ? » (« S&C » du 22 septembre 2015)
« De la dictée comme l'un des beaux-arts » (« Le Point » du 23 septembre 2015)
« L'arnaque de la dictée quotidienne » (Ivan Rioufol, blog du « Figaro » du 24 septembre 2015)
« Éducation : la dictée qui cache la forêt » (« Le Point » du 25 septembre 2015)
« Le coup de la dictée » (« Marianne » du 28 septembre 2015)
« La dictée, un symbole puissant qui n’est plus un diktat pour personne » (« La lettre de l'éducation » du 28 septembre 2015)
En lâchant dans l’agora médiatique, par une tribune dans Le Monde du 19 septembre, un tonitruant « Oui aux dictées quotidiennes à l’école » la ministre de l’éducation nationale s’est bel et bien appliquée à une manœuvre destinée à lui faire gagner des points dans l’opinion publique et à neutraliser, au moins partiellement, les discours d’opposition des conservateurs scolaires, au moment où étaient publiées par le Conseil supérieur des programmes (CSP) les nouvelles versions des programmes du primaire à la 3e.
Tribune « L’apprentissage de l’écrit passe avant la dictée quotidienne ! » (« Le Monde » du 2 octobre 2015)
« La « communauté éducative » recale les nouveaux programmes » (« Libération » du 9 octobre 2015)
Il y a aussi eu, mercredi, le drôle épisode autour de la dictée. La ministre avait claironné le jour de la remise officielle des nouveaux programmes que désormais tous les enfants feraient une dictée quotidienne pour renforcer l’apprentissage des fondamentaux. Une manœuvre politique qui n’a échappé à personne, pour clouer le bec à la droite et faire diversion sur les programmes d’histoire. Prenant la ministre au mot, le Snalc, un syndicat conservateur, a déposé un amendement visant à mentionner de manière explicite la pratique de la « dictée quotidienne »… Résultat, tempête le Snalc : le ministère s'est prononcé contre l'amendement, la preuve d’une « communication de la ministre purement mensongère ».
[3] Ifop, « Les Français et les nouveaux programmes scolaires » (30 septembre 2015)
[4] Séverin Graveleau dans « Le Monde » du 19 septembre 2015 : « "Dictée quotidienne" : le coup politique de Najat Vallaud-Belkacem »
Séverin Graveleau et Mattea Battaglia dans « Le Monde » du 5 octobre 2015 : « Najat Vallaud-Belkacem, la communicante devenue stratège » (abonnés)
Véronique Soulé dans le « Café pédagogique » du 5 octobre 2015, « Najat Vallaud-Belkacem ou la communication radieuse »