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Inégalités... et discriminations "scolaires"
- Loys
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Évolution de la mixité sociale des collèges
X Les collèges ont des compositions sociales très différentes, ce qui est régulièrement décrit comme un facteur renforçant les inégalités scolaires. Le niveau et les composantes de la ségrégation sociale varient d’un département à l’autre, compte tenu notamment du degré de ségrégation entre communes et quartiers, du poids du secteur privé et des inégalités économiques. Au niveau national, la ségrégation sociale entre collèges est peu variable au cours du temps. La ségrégation parmi les collèges publics suit une tendance à la baisse et les écarts de composition sociale entre secteurs public et privé sont croissants, le secteur privé scolarisant de plus en plus d’élèves de milieu favorisé. Depuis 2014, la ségrégation sociale a sensiblement diminué dans une vingtaine de départements situés majoritairement dans le Nord et l’Ouest. La ségrégation entre collèges publics y a baissé, et les écarts entre secteurs public et privé n’y ont pas augmenté. Inversement, dans une trentaine de départements situés plutôt dans la moitié sud, la ségrégation a augmenté, avec une hausse marquée des écarts de composition sociale entre secteurs public et privé.
Fil d'Ismaïl Ferhat sur Twitter le 8/07/23 :
Comment les discriminations raciales traversent l’école française… et pourquoi le sujet reste difficile à aborder dans notre pays malgré les données et études existantes. Un fil pour comprendre. #discriminations #éducation #SHS 👇👇👇 1) Les discriminations raciales sont un triple paradoxe dans la socio-histoire de la France. Le pays fait partie des premiers en Occident- du moins en métropole- à abolir en droit les inégalités raciales. (1) 2) En réalité, les mécanismes d’inégalité raciale (pensons à l’esclavage, à la gestion du fait migratoire et au monde colonial) ont longtemps coexisté avec la DDHC de 1789. (2) 3) La politisation (au sens de la prise en charge publique) des discriminations raciales débute durant les 30 Glorieuses, comme le rappelle l’historien Emmanuel Debono (3). Le racisme dans le prétoire Le 21 avril 1939, le gouvernement Daladier adopte un décret-loi qui modifie la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 en y introduisant les délits d’injure et de diffamation à caractère « … www.puf.com/content/Le_racisme_dans_le_pr%C3%A9toire 4) Tant au travers des conventions de l’ONU (1958-1969) que de la loi dite Pléven de 1972, puis la loi du réforme du code pénal du 22 juillet 1992, elles font l’objet d’un cadrage juridique croissant (4). 5) La prise en charge institutionnelle se traduit en 2004 par la HALDE, haute autorité de lutte contre les discriminations, intégrée en 2011 dans le Défenseur des droits (5). 6) Les SHS françaises n’ont commencé à explorer véritablement la question que plus tardivement, à partir des années 1990, notamment sous l'impulsion du GELD de 1999 à 2005. 7) Cependant, à partir des années 2000, et notamment à la suite des émeutes de 2005, les premiers travaux de synthèse sont apparus sur le sujet, ainsi l’ouvrage dirigé par D.Fassin et E.Halpérin en 2008. 9) Le sujet s’est développé, tout en restant encore relativement limité : au 07/06/2023, 234 ouvrages déposés à la BNF incluent « discriminations » dans leur titre (contre 1492 à la British Library). 10) Venons-en à l’école proprement dite. Celle-ci reste un aspect très minoritaire des travaux de SHS existants sur les phénomènes discriminatoires en raison de l’origine ethno-raciale. 11) Comment expliquer une telle faiblesse ? Trois éléments (ni exclusifs, ni exhaustifs) peuvent être évoqués. 12) Le premier est l’alliance d’un fonds marxiste quelque peu mécanique (toute inégalité de traitement s’explique par le socio-économique) et d’une mythification de l’école républicaine, censée être « immunisée » des discriminations. 13) C’est l’explication que le sociologue Choukri Ben Ayed apporte, en soulignant combien ceci revient à vouloir réduire, tel le lit de Procuste, les inégalités de traitement ethno-raciales à la seule classe sociale. www.cairn.info/revue-le-sociographe-2011-1-page-65.htm 14) La seconde explication, évoquée par le sociologue Fabrice Dhume, est plus urticante encore pour les personnels éducatifs… car elle est celle de leur déni tendanciel quant à ces phénomènes discriminatoires. Entre l’école et l’entreprise, la discrimination en stage : Une sociologie publique de l’ethnicisation des frontières scolaires Depuis les années 1970, l’institution scolaire est l’objet d’une double critique, concernant les inégalités qu’elle reproduit et sa « distance » avec le monde du travail. « Nouvelle » recette politi… books.openedition.org/pup/23959 15) A ce propos, le phénomène est typique des mécanismes de défense des classes moyennes et supérieures diplômées, dont sont issus une bonne partie des personnels éducatifs, décrits par le politiste américain Justin Gest. 16) Ce dernier soulignait combien celles-ci rejetaient souvent la responsabilité des mécanismes discriminatoires et ségrégatifs sur la seule « White working class »- superposant un violent mépris de classe à une bonne conscience progressiste. global.oup.com/academic/product/the-new-...32557?cc=fr&lang=en& 17) Un déni d’autant plus problématique à l’école que les CSP+ et classes moyennes intellectuelles entretiennent des stratégies scolaires interagissant directement avec des processus discriminatoires raciaux dans l’éducation. All in the mix: race, class and school choice research.manchester.ac.uk/en/publication...ss-and-school-choice 18) Troisième raison, les données sur les inégalités ethno-raciales à l’école restent parcellaires- et il est parfois difficile de corréler a posteriori parcours scolaire, ressenti discriminatoire et réalité de l'expérience de discrimination éducative. www.editionsladecouverte.fr/80__au_bac_et_apres_-9782707141514 19) Et pourtant… les alertes sur l’ampleur du phénomène n’ont pas manqué, et ce dès la montée scientifique et publique durant les années 1990. Ce qui rend encore plus étonnante la résistance quant à sa reconnaissance. 20) 1992 : l’enquête MGIS- une des premières à mesurer le ressenti discriminatoire- montre que les immigrés accusent plus souvent l’école que les banques en matière de discriminations. 21) En 2005, les écoles sont, avec les entreprises et les commissariats, parmi les bâtiments les plus visés par les jeunes émeutiers de quartiers populaires, renvoyant dans les trois cas directement au ressenti discriminatoire. www.cairn.info/revue-horizons-strategiques-2007-1-page-98.htm 21) En 2021, les habitant(e)s de Seine-Saint-Denis sondé(e)s placent le système éducatif (78%) juste après… la police et la justice (81%) dans la hiérarchie des lieux ressentis de discrimination. t.co/mCKHuGg3OU seinesaintdenis.fr/IMG/pdf/synthese_baro..._vdef_10062020-2.pdf 22) En matière scolaire, le ressenti discriminatoire est donc aussi important que la faiblesse du nombre de travaux et de données disponibles, un paradoxe qui persiste malgré toutes les alertes et crises depuis les années 1990. 23) Quels sont les aspects du système éducatif les plus à risque ? En l'état provisoire de la littérature de SHS analysée, on peut en identifier trois- sans que ceci n’épuise le risque discriminatoire à l'école. 24) le premier, majeur, est l’offre scolaire. Comme le relèvent les collègues G.Felouzis, F.Liot et J.Perroton dans une étude sur Bordeaux, 80% des enfants de minorités ethniques sont dans 20% des collèges. L'Apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Georges Felouzis, Françoise Liot, Joëlle Perroton : Pour la première fois... www.seuil.com/ouvrage/l-apartheid-scolai...louzis/9782020789486 25) En soi, cette ségrégation à l’école n’est pas forcément discriminatoire… sauf que les minorités ethniques se retrouvent surreprésentées dans les écoles moins performantes, moins financées et sans continuité du service public. 26) Moins performantes car avec des enseignants moins expérimentés et des équipes extrêmement instables. www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rappor..._rapport-information Presentation de l'Assemblee nationale, du palais Bourbon, de ses membres (deputes), de son fonctionnement et de son actualite : agenda, travaux en cours (amendements, rapports, commissions, lois), tex… www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rappor..._rapport-information 27) Moins financées car le principal poste budgétaire de l’école étant les rémunérations, les personnels vacataires, contractuels ou jeunes surreprésentés dans les quartiers populaires coûtent moins cher que ceux expérimentés. Égalité des chances et répartition des moyens dans l'enseignement scolaire Dans un référé adressé le 11 juillet 2012 au ministre de l’éducation nationale sur « l’égalité des chances et la répartition des moyens dans l’enseignement scolaire », la Cour relève que si une partie… www.ccomptes.fr/fr/publications/egalite-...nseignement-scolaire 28) (P.S. à ce propos, on se permettra de souligner que la répartition des moyens financiers en matière éducative reste hélas trop peu présente dans les études savantes sur l’éducation, alors qu’elle est révélatrice des choix publics… 29 …ainsi le rapport de Jean-Paul Delahaye qui rappelle que l’Etat finance plus les heures de colles en classes prépas que les fonds sociaux des EPLE destinés aux élèves en grande précarité). Grande pauvreté et réussite scolaire : le choix de la solidarité pour la réussite de tous Rapport de Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général de l'Éducation nationale, groupe établissements et vie scolaire, à la ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherch… www.education.gouv.fr/grande-pauvrete-et...eussite-de-tous-8339 30) La continuité même du service public éducatif n’est pas assurée du fait des absences de personnels dans les quartiers populaires, conduisant à la perte d’une année scolaire sur la scolarité d’un écolier. « Un élève de Seine-Saint-Denis perd l’équivalent d’un an de scolarité, faute de remplacement des instituteurs absents » Le Monde.fr - 1er site d’information sur l’actualité. Retrouvez ici une info de la thématique Éducation du 28 février 2013 sur le sujet « Un élève de Seine-Saint-Denis perd l’équivalent d’un an de sco… www.lemonde.fr/education/article/2013/02...5995018_1473685.html 31) Ajoutons que les élèves de minorité ethnique sont dans les écoles les plus perturbées, aggravant en retour les difficultés scolaires (apprentissages faibles, absentéisme, décrochage…). 32) Les problèmes s’étendent d’ailleurs à la médecine, l’assistance sociale et l’infirmerie scolaires, avec des conséquences démultipliées pour des publics déjà moins bien traités. 33) Ajoutons, puisque l’on parle jusque-là de l’école publique, que les établissements privés refusent (ou n’y donnent pas suite) significativement plus souvent les dossiers d’élèves maghrébins que les autres. www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2014-2-page-143.htm 33) Le second point crucial des discriminations raciales à l’école est celui de l’orientation. Là aussi, les données et travaux convergent : on n’est pas orienté à notes égales de la même manière selon son origine. 34) Malgré des notes équivalentes (voire meilleures) à niveau social équivalent, les enfants d’immigrés sont « orientés » (c’est-à-dire, envoyés) plus souvent dans des filières courtes et professionnelles. 35) Et ce malgré une très nette aspiration chez les bachelières/bacheliers des minorités habitant en QPV à poursuivre des études. www.cereq.fr/que-deviennent-les-jeunes-d...ville-apres-leur-bac 36) Il n’est dès lors pas étonnant que l’orientation scolaire cristallise le ressenti discriminatoires des minorités ethniques, et plus encore face à une école se targuant traditionnellement d’être fondée sur le « mérite». www.cairn.info/revue-migrations-societe-2013-3-page-97.htm 37) A ce propos, l’enquête ACADISCRI en cours montre d’ores et déjà que le supérieur, y compris en sciences sociales, est très loin d’être épargné par ces inégalités de traitement, par exemple à l’entrée en master. juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21527 38) Le dernier élément le plus saillant est la discrimination aux stages, à l’intersection du système scolaire et du monde professionnel, dont le caractère est aussi massif que tu, comme souligné par Fabrice Dhume. Entre l’école et l’entreprise, la discrimination en stage : Une sociologie publique de l’ethnicisation des frontières scolaires Depuis les années 1970, l’institution scolaire est l’objet d’une double critique, concernant les inégalités qu’elle reproduit et sa « distance » avec le monde du travail. « Nouvelle » recette politi… books.openedition.org/pup/23959?lang=fr 39) Les enseignantes/enseignants préfèrent parfois effet garder le stage et trouver une « solution » pour les élèves de minorités ethniques, contribuant involontairement à maintenir les pratiques des entreprises 40) D’autres discriminations possibles en fonction de la race pourraient exister, mais restent peu documentées, ainsi en matière de sanctions scolaires. Catégorisation ethnoraciale en milieu scolaire. Une analyse contrastive de conseils de discipline ?Dans une approche pragmatiste des activités langagières, cet article analyse la production de formes particulières d’hostilité lors de comparutions de collégiens en conseil de discipline. Le rapproch… www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2013-3-page-81.htm 41) Ces discriminations raciales à l’école ne sont pas seulement illégales légalement et moralement problématiques- ces points relevant moins de la recherche en SHS que de la question civique et de l'action publique. 42) Les travaux et enquêtes de recherche montrent que l’effet est délétère pour les rapports entre les jeunes de minorités ethniques- et leurs familles- et l’institution scolaire. 43) Le premier élément est le caractère aggravant des discriminations raciales sur les difficultés de l’école dans les quartiers populaires. Difficile de prôner de grands discours civiques quand le vécu les contredit… 44) ce qui conduit à une boucle délétère soulignée par Benjamin Moignard : les discriminations entraînent parfois des comportements perturbateurs, eux-mêmes aggravant la crise des écoles de quartiers populaires. Le collège comme espace de structuration des bandes d’adolescents d... Des noyaux durs aux bandes de jeunes : une surreprésentation de groupes déviants et délinquants ? La question de la surreprésentation de petits groupes d’élèves dans la délinquance et la violence d... journals.openedition.org/rfp/374 45) Plus globalement, l’expérience des discriminations raciales à l’école crée une terrible crise de confiance des familles de minorités ethniques, et ce d’autant plus qu’on s’éloigne de l’immigration. 46) En effet, les familles directement issues de l’immigration ont de fortes aspirations à l’école, vue comme le premier- voire le seul- ascenseur de mobilité sociale. Le rapport à l’école des familles déclarant une origine immigrée : enquête dans quatre lycées de la banlieue populaire Cet article propose une analyse empirique du rapport à l’école des familles immigrées résidant dans des communes populaires de la périphérie parisienne. Les résultats se fondent sur l’analyse multivar… www.cairn.info/revue-population-2014-4-page-617.htm 47) Cependant, pour les familles françaises de minorités ethniques, l’effet se mâtine d’un ressenti (dans tous les sens du terme) quant au traitement par l’institution scolaire. 48) Samia Langar le montre ainsi pour les mères maghrébines de Vénissieux qu’elle a enquêtées, qui projettent douloureusement leur propre parcours d’injustice scolaire sur les écoles dégradées de leurs enfants. Ce que l’islam fait (ou pas) à l’école À propos de : Samia Langar, Islam et école en France. Une enquête de terrain, Presses universitaires de Lyon laviedesidees.fr/samia-langar-islam-ecole-france 49) Et ce ressentiment surgit à la moindre crise. En témoigne l’enquête dirigée par Gilles Kepel auprès des jeunes de Clichy-sous-Bois et Montfermeil après les émeutes de 2005. www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hor...eue-de-la-Republique 50) A la question de quelle la figure ils détestaient le plus- on est donc peu après la mort de deux jeunes suite à une poursuite de police- ils ont répondu… le conseiller d’orientation psychologue (Copsy, aujourd’hui psychologue scolaire) 51) A chaque émeute urbaine depuis les années 1990, des écoles sont significativement visées par les jeunes émeutiers, une spécificité française. www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2006-4-page-521.htm 52) Et ceci a des conséquences lourdes pour les politiques éducatives, interprétées par une partie des minorités ethniques comme étant peu ou prou discriminatoires. 53) Ainsi, l’assouplissement de la carte scolaire, en 2008, fut interprétée par certains parents de celles-ci qui n’en avaient pu bénéficier comme une mesure raciste en faveur d’« autres » parents. Les effets imprévus de l’assouplissement de la carte scolaire L’assouplissement des règles d’affectation des élèves dans les collèges publics n’a pas été sans effets sur les attentes et les représentations des parents. L’enquête montre que face aux refus et à l’… www.cairn.info/revue-politix-2014-3-page-219.htm 54) Idem pour les ABCD de l’égalité, qui avaient suscité dans une fraction des familles de minorités ethniques un rejet nourri par le sentiment que l’école ne les traitait déjà pas équitablement. www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2018-2-page-41.htm 55) Ce ressenti discriminatoire face à l’école prend d’ailleurs parfois la question religieuse- plutôt qu’ethno-raciale proprement dite- pour s’exprimer, notamment à travers l’opposition à la loi du 15 mars 2004 www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/03/...LICRA_2021.03.02.pdf 56) Les discriminations raciales à l’école ont donc des effets globaux délétères pour l’institution scolaire, ses usagers et ses personnels, mesurés et repérés d’enquête en étude, de rapport en article. 57) C’est pour ceci que la réticence à les prendre en compte n’est pas simplement une forme de tabou peu compréhensible. Elle constitue en soi un facteur de difficulté pour les politiques et métiers de l’éducation. Annexes: pour aller plus loin sur le sujet, quelques conseils d'ouvrages. L'excellent livre de @sebastianjroche qui a l'avantage de croiser école et police (ce qui est rarissime en SHS... depuis Michel Foucault). La nation inachevée (Grand format - Broché 2022), de Sebastian Roché | Grasset La démocratie est en crise, le pays se fissure et notre boussole politique s’est démagnétisée. Le diagnostic ne trom www.grasset.fr/livre/la-nation-inachevee-9782246819707/ Le travail tout juste sorti de Choukri Ben Ayed sur les discriminations scolaires et leur déni (public et scientifique) L'école discrimine-t-elle ? Le cas des descendants de l’immigration nord-africaine Cet ouvrage est consacré à la discrimination dans le domaine scolaire encore peu explorée. Il s’attache à la population des descendants de l’immigration nord-africaine. L’ouvrage traite de questions e… editions-croquant.org/hors-collection/90...crimine-t-elle-.html Le travail fondateur de Fabrice Dhume (tiré de sa thèse) sur les discriminations en stage, notamment en lycée pro (déjà peu traité en SHS): Entre l’école et l’entreprise, la discrimination en stage : Une sociologie publique de l’ethnicisation des frontières scolaires Depuis les années 1970, l’institution scolaire est l’objet d’une double critique, concernant les inégalités qu’elle reproduit et sa « distance » avec le monde du travail. « Nouvelle » recette politi… books.openedition.org/pup/23959?lang=fr Les travaux du réseau RIED (dans un ouvrage coordonné par Françoise Lorcerie): Éducation et diversité : Les fondamentaux de l’action Le mot « diversité » désigne ici, et cache tout à la fois, une réalité des sociétés nationales et une dimension des inégalités sociales. Il s’agit des inégalités matérielles et symboliques qui résul… books.openedition.org/pur/147105?lang=fr Pour aller plus loin sur la comparaison des discriminations entre services publics, cf. le collectif Dubet/Cousin/Macé/Rui Pourquoi moi ? , François Dubet, Docum... Pourquoi moi ?, François Dubet, Olivier Cousin, Sandrine Rui, Eric Macé : Qu’il s’agisse d’inégalités de traitement en fonction du sexe, de la race... www.seuil.com/ouvrage/pourquoi-moi-francois-dubet/9782021097412 Et du point de vue (souvent méconnu) des jeunes de quartiers populaires, l'ouvrage coordonné par @JulienTalpin sur leurs expériences discriminatoires. L'épreuve de la discrimination La France n’a pas pleinement pris la mesure de l’ampleur du racisme et des discriminations qui la traversent. Des millions d’individus subissent au quotidien micro-agressions et stigmatisation, voient… www.puf.com/content/L%C3%A9preuve_de_la_discrimination • • •
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Par Cécile de Kervasdoué
Publié le jeudi 13 juillet 2023 à 23h58
7 min
Pour Chloé Riban, "Contrairement à un cliché tenace, les parents des quartiers populaires ne sont pas démissionnaires". Pour Chloé Riban, "Contrairement à un cliché tenace, les parents des quartiers populaires ne sont pas démissionnaires". © Getty - Maskot
Après les révoltes urbaines du mois de juillet 2023, le gouvernement n'a pas tardé à blâmer les parents des enfants auteurs de violences considérés comme démissionnaires. Une idée fausse qui continue d'alimenter un malentendu entre les parents des quartiers populaires et les institutions. Entretien.
Chloé Riban est maitresse de conférence à l'Université Paris X Nanterre en sciences de l'éducation. Après deux années d'enquête en immersion dans un quartier populaire en Bretagne elle a soutenu une thèse en 2020 intitulée L'école dans le quotidien de mères de famille ethnicisées.
Quand il s'agit des enfants de quartiers populaires il y a un discours récurent sur les parents qui ne "tiennent pas leurs enfants" ?
Oui. Ce discours sur les parents qui ne tiennent pas leurs enfants, je le trouve vraiment très intéressant parce que bien souvent, les mères de ces familles, quand elles ont un emploi, ont des emplois qui sont dans des horaires particulièrement décalés quand elles font des ménages par exemple, elle travaillent tôt le matin et tard le soir. Donc effectivement, elles ne sont pas là, peut être au moment de la sortie des classes ou en début de soirée et on leur dit qu'elles tiennent pas leurs enfants. En revanche, si elles ne travaillent pas, on leur dit que ce sont des parents qui profitent du système. C'est une injonction paradoxale impossible à tenir.
Et les mères témoignent quand on les rencontre que leur journée "est un parcours du combattant". Il faut enchaîner la prise en charge des enfants, l'emploi salarié quand il y en a un, les rendez-vous des différents membres de la fratrie dans un contexte de précarité qui crée un rapport au temps très incertain, parce que quand on est en intérim, on ne sait pas quel vont être nos horaires le lendemain. Parfois, leurs enfants doivent avoir des prises en charge diverses, donc elles sont dans un rapport au temps où tout le quotidien est compliqué. D'autant qu'elles sont dans un contexte où il peut y avoir eu des ruptures liées à la migration, des ruptures de solidarités familiales où elles se retrouvent seules et dans un contexte aussi où, bien souvent, les pères sont peu présents. Et quand ils sont là, ils ne vont pas forcément s'impliquer au quotidien avec l'école ou dans le soin des enfants. Ce sont donc des femmes qui portent beaucoup. Leur dire qu'elles ne tiennent pas leurs enfants, je pense que c'est une injustice vraiment flagrante compte tenu de l'ensemble des actes qu'elles posent précisément pour que cela tienne et pour que les enfants grandissent malgré tout. Cela revient à leur faire porter une responsabilité qui, probablement, est beaucoup plus collective.
Mais comment cela tient-il au quotidien ?
Globalement, on observe qu'il y a quand même une responsabilisation des enfants. Assez rapidement, ils sont responsables d'eux-mêmes et puis, éventuellement, du reste de la fratrie, des petits frères et sœurs. Parce que si la maman travaille, ce sont les grands qui vont accompagner les plus petits à l'école, par exemple. L'organisation familiale est aussi une forme d'anticipation : les mères cuisinent pour que le soir il y ait quelque chose à réchauffer lorsque les enfants seront seuls. Il y a aussi la solidarité entre femmes, elles se dépannent les unes les autres, à aller chercher les enfants de celles qui vont avoir un empêchement par exemple. Elles mettent également en place un ensemble d'activités comme l'aide aux devoirs pour que les enfants soient encadrés à la sortie de l'école. L'organisation familiale apparaît donc très dépendante à la fois du temps de travail des mères et des aides publiques ou de solidarité dont elles peuvent bénéficier ou pas. C'est une organisation au jour le jour, en fonction des coups du sort qui s'abattent parfois sur les familles.
La chercheuse Chloé Riban, maitresse de conférence en science de l'éducation à l'Université de Paris X Nanterre La chercheuse Chloé Riban, maitresse de conférence en science de l'éducation à l'Université de Paris X Nanterre © Radio France - Cécile de Kervasdoué
Et quid des services publics ?
Les services publics existent évidemment ! Il y a l'école, les centres sociaux. Mais si on prend l'exemple du CMP, le centre médico psychologique, des mères expliquent que pour un rendez-vous orthophoniste, c'est six mois, un an d'attente. Finalement, souvent, il n'y a donc pas de soins. Idem pour l'aide au devoir. Bien souvent, il n'y a pas assez de places. Des mères seraient en demande que leurs enfants y aillent deux fois par semaine et ce n'est possible qu'une seule fois.
Dans ces quartiers, il existe aussi un délitement ou un effacement des services publics, faute de subventions suffisantes. Et si l'on parle de la police, les mères sont très inquiètes de ce qu'elles observent en bas de chez elles. Il y a des dealers, elles en parlent beaucoup, ils sont en bas de leurs tours, ils donnent des bonbons à leurs enfants pour les attirer dans leurs trafics. Selon elles, la réponse de la police n'est donc pas conforme à leurs attentes.
Et puis il y a l'école. C'est le coeur de votre travail de thèse ?
Durant les révoltes urbaines, on a vu dans différents quartiers des écoles qui ont effectivement été incendiées. Mais dans certaines zones des parents d'élèves ont fait le guet devant les établissements pour éviter qu'ils soient abîmés ou détruits, avec l'idée qu'il fallait protéger l'école. Face à l'école, les mères des quartiers populaires sont dans une ambivalence terrible. D'un côté, il y a une véritable attente d'ascension sociale. Les parents sont très en demande de l'école avec une grande confiance dans l'école au départ. Le problème, c'est quand l'école leur fait sentir qu'ils ne sont pas les bienvenus lorsque leurs enfants se trouvent dans des établissements particulièrement sévères, ou dans des filières dévalorisées.
Est-ce que ce sont pour autant des parents démissionnaires ?
Certainement pas. Il y a un discours encore très prégnant du parent démissionnaire qui infuse quand même un certain nombre de perceptions, et c'est une image qui est fausse. Toutes les enquêtes en sociologie, en sciences de l'éducation qui s'intéressent aux parents des classes populaires montrent qu'il n'y a pas de parents démissionnaires. En revanche, il y a des parents dont les modalités d'implication et de prise en charge des enfants ne correspondent pas forcément au modèle des classes moyennes ou des classes supérieures.
À réécouter : À Nanterre : "Nous n'avons pas besoin de leçons pour éduquer nos enfants !"
Le Reportage de la Rédaction
4 min
Pourriez-vous expliciter cela ?
Si je prends un exemple, le suivi de la scolarité de l'enfant. Les parents des classes populaires, notamment les mères des classes populaires, sont préoccupées, très préoccupées de la réussite scolaire de leur enfant. C'est une préoccupation majeure pour elles. Seulement la manière dont elles font la démonstration de cette préoccupation est polymorphe : cela peut passer par un soutien oral, des achats ou l'accompagnement des sorties, mais cela ne va pas forcément prendre la forme validée par l'institution du suivi des devoirs ou de la rencontre avec l'enseignant ou l'enseignante, selon les modalités prévues par l'institution scolaire. Cela peut donc donner l'impression qu'elles ne sont pas présentes ou qu'elles ne sont pas investies, alors que lorsque l'on les côtoie, que l'on travaille avec elles, on voit bien que la préoccupation est permanente. Mais elles empruntent des formes invisibles pour la plupart des enseignants ou des éducateurs, éducatrices.
C'est pour cette raison que je dis que l'institution scolaire cherche à acculturer les parents, c'est-à-dire à faire en sorte qu'ils partagent un ensemble de codes de manière de préparer l'enfant à l'école pour qu'il s'y adapte immédiatement. Qu'il sache s'asseoir, lever la main, écouter. Et ce travail là est un vrai travail qu'un ensemble de familles ne font pas, parce que, pour elles, cela relève de l'école.
C'est toute la différence avec les classes moyennes et supérieurs chez qui il y a un rapport pédagogisé au savoir, c'est à dire qu'on va mettre la table et on va dire à l'enfant : "Alors, combien on met d'assiettes ?". Et donc on va compter les assiettes, les fourchettes, etc. Mais ce rapport au savoir ne se retrouve pas dans toutes les franges de la société.
Quel est il dans les classes populaires ?
Dans les classes populaires, la transmission se fait différemment. Elle se fait sur des objets, sur des manières d'être qui ne sont pas scolaires. Il y a de la transmission culturelle, de la transmission des valeurs, de la transmission du patrimoine culinaire. Enormément d'histoires qui se racontent, des manières d'être aux autres, qui sont transmises dans toutes les familles. Seulement l'école, elle, ne valorise qu'une manière de transmettre et pas et pas les autres. Et c'est là que réside tous les malentendus.
Faudrait-il alors mieux transmettre les codes de l'institution scolaire à ces parents ?
Ils sont souvent l'objet de malentendus. Par exemple, sur l'orientation, il y a énormément de sigles, d'implicites qui empêchent les parents de se repérer. Et c'est souvent à ce moment là que la confiance en l'école va se déliter chez ces parents. Quand les parents vont se rendre compte que finalement l'école leur avait promis l'ascension sociale pour leurs enfants et que les promesses ne sont pas tenues parce que leurs enfants sont orientés vers des filières qui sont moins valorisées. Ou bien quand ils ne se sentent pas toujours bien accueillis, qu'on les appelle uniquement quand il y a des problèmes. Ils peuvent se sentir rejetés et leurs enfants avec eux et cela fait souvent écho aussi à des parcours personnels, migratoire par exemple.
Ou encore quand l'enseignante explique aux mères qu'il faut suivre les devoirs, faire les exercices, réciter les leçons. Parfois, ce sont des injonctions extrêmement paradoxales, c'est à dire qu'on leur dit même si vous parlez pas la langue, faites réciter à votre enfant et ce n'est pas grave si vous ne comprenez pas ce que l'enfant récite ! Mais il est impossible pour elles de faire ce travail là quand elles ne sont pas lectrices.
Et du côté des enseignants, des attentes très figées et inconscientes demeurent. Le bon parent, c'est le parent qui sait et qui veut bien coopérer avec l'institution. Et donc, tout parent qui ne s'inscrit pas dans cette norme là de l'échange va être perçu comme potentiellement défaillant, alors que cela ne veut pas dire que ce sont des parents qui ne sont pas investis. Cela signifie que le principe de coéducation, tant brandi par l'institution doit supporter le désaccord. Le fait que l'école puisse proposer une solution et que la famille puisse ne pas être forcément en accord avec cela. Mais c'est un grand tabou. Or refuser le désaccord c'est empêcher de créer un lien véritable sur lequel construire une vraie relation. cela marche pour l'école et pour toutes les institutions.
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Dans le "Café pédagogique" du 6/10/23 : "Manel Ben Boubaker : Un enseignement décolonial en histoire-géo"Contribution de deux collègues d'histoire-géographie sur LVM : "L'islam dans les manuels scolaires" (19/01/2016)
“C’est une mission de l’école de produire un enseignement qui convienne à tous les élèves”. Professeure d’histoire-géographie au lycée J Zay d’Aulnay-sous-Bois (93), Manel Ben Boubaker a participé à l’ouvrage “Entrer en pédagogie antiraciste” (Shed éditeur). Elle nous explique pourquoi un enseignement décolonial et quelles pratiques pédagogiques spécifiques mettre en place.
Voilà un livre qui vient de loin. Novembre 2017 JM Blanquer porte plainte contre Sud Education 93 suite à un stage antiraciste. Si les différentes plaintes du ministre de l’Education nationale n’aboutissent pas, cela amène le syndicat à expliciter sa réflexion. Et finalement cela donne naissance à un livre “Entrer en pédagogie antiraciste. D’une lutte syndicale à des pratiques émancipatrices” publié chez SHED. L’ouvrage réunit des analyses sociologiques (F Dhume, U Palheta par exemple) et des témoignages d’enseignants. Manel Ben Boubaker présente dans l’ouvrage sa démarche pédagogique en classe et en atelier. Elle s’en explique dans cet entretien.
Pourquoi faut-il donner des clefs d’analyse décoloniale aux élèves ? Est-ce la mission de l’Ecole ?
Je me suis retrouvé face à un hiatus en devenant professeure d’histoire-géographie. Je suis non-blanche et en université je me suis spécialisée dans la décolonisation. Puis je me suis retrouvée face à des élèves non blancs qui me demandaient pourquoi ils sont absents des manuels scolaires. Il m’a semblé que c’est une mission de l’école de produire un enseignement qui convienne à tous les élèves, y compris non blancs. J’estime qu’il serait normal que nos histoires apparaissent aussi dans les programmes scolaires. C’est en partant de cette rencontre avec mes élèves que je me suis engagée dans une réflexion didactique sur ces questions.
Mais est-ce normal de regarder ses élèves comme des “blancs” ou des “non blancs”?
Quand on est professeure et attachée aux questions de domination, quand on regarde ses élèves filles on sait qu’elles vont avoir tendance à être plus timides, à faire plus de tâches de soin dans la classe. Du coup on essaie de réguler ses pratiques pédagogiques en fonction de cela. C’est le même raisonnement pour les élèves à capital scolaire important. Si je suis attentive aux rapports de domination, je ne peux pas être aveugle à la race sociale des élèves. Je sais que ce n’est pas pareil d’être blanc ou non-blanc dans l’école. C’est d’ailleurs mon expérience personnelle de l’école qui me le dit. Quand cette question arrive en classe je ne veux pas faire comme si cela n’existait pas.
“Repenser le rapport entre colonialité et production des savoirs”, que voulez-vous dire ?
Beaucoup d’historiens réfléchissent à la production des savoirs en histoire et en géographie. Il y a des mouvements épistémologiques, comme les postcolonial studies ou les cultural studies, qui posent la question de la neutralité du savoir. C’est cela que j’interroge dans la construction scolaire. Elle n’est pas neutre mais occidentalo-centrée. L’écriture de l’histoire aujourd’hui se fait dans les pays du Nord pas dans ceux du Sud. C’est aussi la question des savoirs visibles et invisibles. Certains récits historiques sont racontés massivement en histoire d’autres pas.
Quelle pédagogie particulière mettez vous en place ?
Je propose dans le livre des pistes de travail. Par exemple en première ou en terminale sur la colonisation ou la décolonisation je vais travailler plutôt en pédagogie Freinet. Je mets en place des exposés libres et les élèves choisissent un pays sur lequel ils travaillent. Je leur montre l’intéret de travailler aussi sur des pays d’Amérique latine ou d’Asie, moins évidents que le Maroc ou le Mali. Ou encore de travailler sur les DOM TOM. A partir de ces exposés je peux traiter la question dans sa globalité. Je vais aussi avec eux travailler à un glossaire décolonial en montrant que selon le point de vue où on se place le même événement peut avoir un nom différent. En géographie je vais plutôt travailler sur d’autres types de cartes. Le livre en donne de bons exemples.
Vous imaginez aussi des sorties décoloniales en ville. De quoi s’agit-il ?
Cela se fait dans le cadre d’un club Egalité monté avec une collègue de SES. Nous réalisons une journée d’arpentage de l’espace public autour de ces questions. Par exemple une visite du Musée de l’immigration avec ses fresques, les bâtiments de l’exposition coloniale restant dans le bois de Vincennes. On peut faire de l’histoire décoloniale dans toutes les villes. Il suffit juste de regarder son environnement.
Comment un tel club est-il vu dans votre établissement ?
Il y a une volonté de travailler sur l’égalité dans les établissements scolaires. Le club rend plus visibles les journées du 8 mars, du 25 novembre ou du 17 mai. On respecte le cadre légal et on est soutenu dans ce travail. Mais on peut avoir des oppositions d’élèves ou de collègues qui trouvent que cela va trop loin. Cela a été le cas par exemple à propos des élèves trans.
Vous êtes aussi syndicaliste à Sud 93. La pédagogie antiraciste a été combattue par JM Blanquer. Où en est-on deux ministres plus tard ?
On est sortis vainqueurs des plaintes déposées par JM Blanquer , même si un appel court encore. Mais en termes de pédagogie antiraciste il n’y a pas eu de changement radical du discours politique. Il y a toujours une tendance à nous mettre dans la catégorie des personnes trop radicales , voir “islamo-gauchistes” alors qu’on essaie juste de poser un discours antiraciste dans une institution très importante pour les enfants.
Propos recueillis par François Jarraud
“Entrer en pédagogie antiraciste. D’une lutte syndicale à des pratiques émancipatrices”, Sud Education 93, SHED, ISBN 978-2-9577498-4-3, 25€
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- Loys
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Dans "Le Monde" (abonnés) du 19/10/23 : "Agnès van Zanten, sociologue : « L’orientation subie est un échec vécu de façon très violente »"
Beaucoup de problèmes dans cet entretien.
Commençons par l'affirmation évasive qu'"une partie du budget accordé à l’éducation prioritaire est consacrée à la création de classes de niveau" : à quoi Mme van Zanten pense-t-elle précisément ? Comment peut-on soutenir une telle ineptie, grave puisqu'elle accuse l'école, à l'image de l'ensemble de l'entretien ?
Quand - autre exemple - Mme van Zanten affirme que l'orientation subie (qui existe en fin de scolarité) peut "engendrer de l'indiscipline" alors que les problèmes de discipline commencent... dès le primaire et parfois même dès la maternelle, bien avant toute orientation. Affirmer que l'échec scolaire puisse générer de l'indiscipline, et réciproquement, aurait été plus sensé. Mais pour cela il fallait une analyse plus poussée de l'échec scolaire que celle, simpliste, qu'elle propose, comme nous le verrons plus bas.
Par ailleurs, l'orientation subie est certes catastrophique en fin de scolarité. Mais les accusations d'un système scolaire qui empêcherait les élèves de réussir et de poursuivre dans le supérieur trouvent parfois leur limites, comme le montre l'article précédent :
Amir fait partie du clan des décrocheurs, il a tenu dix-huit mois en alternance en BTS commerce : « Au début, nous étions une trentaine, à la fin de la seconde année, une douzaine. Seulement huit ont été diplômés. J’ai fait le bête : un abandon de poste. » Le jeune homme n’a plus de salaire ni de formation, et pas de droits au chômage. « J’ai pas été malin sur ce coup-là », reconnaît-il. Maintenant, il veut une formation courte et professionnalisante.
Mme van Zanten va plus loin dans ses graves accusations : les élèves mal orientés n'auraient "pas de grosses lacunes dans leur apprentissage", ce qui revient à accuser l'école de mal orienter les élèves en toute conscience (tout en niant l'échec de l'école, de façon très contradictoire donc).
La ségrégation scolaire, dans des villes comme Nanterre, existe à l'évidence, mais elle n'est pas entre les élèves, ou entre les établissements (de niveaux comparables). Elle est d'abord sociale, comme l'indique Mme van Zanten : difficile d'accuser l'école, seule ou presque, face à des écarts sociaux aussi considérables. Au reste, elle n'évoque jamais l'enseignement privé, qui constitue pourtant la principale ségrégation visible dans l'arrondissement de Nanterre. L'école n'en est pas responsable : l'Etat l'est.
Mais Mme van Zanten préfère encore accuser l'école de façon fantasmée : après les classes niveaux, l'orientation subie, l'indiscipline, elle accuse le manque de formation des enseignants, lesquels s'occuperaient de la classe en général, et pas des élèves en difficulté : il est vrai que les enseignants ont ce défaut de faire face à des classes entières. Ils ne sauraient pas individualiser les apprentissages, accuse Mme van Zanten, tout en reconnaissant qu'il est impossible de le faire avec des effectifs finalement comparables avec les classes hors éducation prioritaire.
En vérité, s'agissant de la pédagogie, certaines pratiques, comme le constructivisme scolaire et toutes ses dérives, sont, après les écarts sociaux et la ségrégation des écoles publiques, bien plus responsables de l'échec scolaire. Mais il est plus commode d'accuser les enseignants qu'une orthodoxie pédagogique pseudo-progressiste défaillante.
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La mise en place de l'expérimentation d'un uniforme scolaire constitue l'une des réponses adaptées pour renforcer l'égalité à l'école et lutter efficacement contre le harcèlement en milieu scolaire. En atténuant les différences d'origine sociale entre élèves, l'encouragement au port d'une telle tenue correspond à une mesure d'égalité réelle. [...] Nous formons le vœu que cette expérimentation soit rapidement mise en place dans de nombreux territoires. Le temps est venu d'incarner, au-delà des clivages politiques, la promesse républicaine, à travers une mesure d'égalité sociale, de protection de la jeunesse et de renforcement de la cohésion nationale.
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François écrit: L'école est extrêmement violente aux classes populaires. C'est quand même une instance d'humiliation des classes populaires et je ne suis pas loin de penser qu'elle a été conçue pour ça [...] Très vite, leur antiracisme moral se laisse étioler par l'exercice du métier, c'est là que le prof devient raciste
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En France, la politique de la ville cible les quartiers urbains confrontés à de très grandes difficultés sociales et économiques, d’abord qualifiés de « zones urbaines sensibles » puis, depuis 2014, de « quartiers prioritaires ». Ces quartiers bénéficient de subventions publiques visant à réduire la ségrégation urbaine et à améliorer les conditions de vie des habitants (logement, services publics, sécurité) et leurs opportunités socio-économiques (éducation, emploi). De nombreux travaux de recherche ont mis en balance les bénéfices et les effets potentiellement contre-productifs des politiques publiques menées dans ces quartiers. Cette note étudie un revers de la politique de la
ville encore peu documenté : la stigmatisation territoriale, qui est analysée ici sous le prisme de l’évitement scolaire des collèges publics situés dans les quartiers périmétrés par la politique.
L’étude prend appui sur une réforme de la géographie prioritaire intervenue en 2014, qui a redessiné la carte des quartiers ciblés à l’aide d’un carroyage très fin du territoire et d’un seuil d’éligibilité fondé sur le revenu fiscal médian des résidents de chaque carreau. Sans que la carte scolaire ait été modifiée par la réforme, certains collèges sont ainsi « entrés » dans le périmètre de la politique, et d’autres en sont « sortis ». La comparaison des collèges des quartiers situés juste au-dessus et au-dessous du seuil d’éligibilité, avant et après la réforme, permet d’évaluer l’impact causal moyen de la labélisation du quartier en politique de la ville sur l’évitement scolaire.
Cette évaluation montre que :
Les collèges publics des quartiers entrés dans le périmètre la politique de la ville ont connu une hausse de l’évitement scolaire par rapport aux collèges des quartiers contrefactuels situés au-dessus du seuil d’éligibilité.
À l’entrée en 6e, la proportion d’élèves scolarisés dans ces collèges a ainsi diminué de 3,5 points de pourcentage en moyenne, soit environ 6 élèves en moins relativement aux collèges contrefactuels.
Cet évitement scolaire a été immédiat et a persisté jusqu’à cinq ans après la réforme de la géographie prioritaire.
Il a concerné toutes les familles, mais les catégories socio-professionnelles plus modestes se sont davantage tournées vers les collèges publics et les catégories plus favorisées davantage vers les collèges privés.
Les collèges publics des quartiers sortis de la géographie prioritaire n’ont en revanche connu aucun regain d’attractivité après la réforme, relativement aux quartiers contrefactuels encore inclus dans le périmètre de la politique de la ville.
Dans "Le Monde" (abonnés) du 16/10/24 : "Politique de la ville : une étude met en lumière l’évitement scolaire dans les collèges après un classement en « quartier prioritaire »"
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Nadir Altinok, Maître de conférences en économie, Université de Lorraine
Claude Diebolt, Directeur de Recherche au CNRS, UMR BETA, Université de Strasbourg
En France, les origines sociales des élèves pèsent fortement sur leurs chances de réussite scolaire et ces inégalités ont tendance à se creuser au fil du temps. Voilà qui fait de l’Hexagone un mauvais élève au sein des pays de l’OCDE. Or, lutter contre ces écarts est non seulement une question d’équité mais aussi un enjeu pour l’avenir économique du pays.
Nombre de pays sont aujourd’hui soumis à un double défi : comment rester en lice dans la compétition internationale tout en préservant une réelle équité au sein de leur population ? L’éducation est l’une des clés pour y répondre et apparaît comme un gage pour l’avenir.
Alors que les systèmes éducatifs dans les pays développés sont parvenus à scolariser la quasi-totalité de leur population entre 6 et 16 ans, la question majeure ne concerne plus la quantité d’éducation. Elle renvoie davantage à analyser la « démocratisation qualitative », puisque les questions d’accès à l’école semblent, pour l’essentiel, résorbées.
En d’autres termes, puisque la scolarisation universelle est acquise dans un pays développé comme la France, il ne s’agit plus d’analyser les inégalités comme des écarts de scolarisation entre différents groupes, mais plutôt d’étudier les écarts de performance, notamment à partir des évaluations internationales consacrées aux acquis des élèves.
De quelles inégalités parle-t-on ?
Comment mesurer les inégalités au sein des institutions éducatives ? Dans le sillage du sociologue Christopher Jencks, nous pensons qu’il ne s’agit pas tant de supprimer intégralement les inégalités que d’en diminuer la gravité. C’est la raison pour laquelle nous menons actuellement des recherches sur le « prix des inégalités scolaires », afin d’évaluer la singularité de la France par rapport à des pays présentant un profil analogue.
En calculant les écarts de trajectoire entre la France d’un côté et ceux des autres pays développés de l’autre, notre ambition est de mesurer une potentielle divergence de la trajectoire française. En somme, les inégalités éducatives existent dans tous les pays, mais sont-elles plus fortes en France que dans les pays similaires ?
Dans cette perspective, en regroupant les résultats des pays aux différentes enquêtes sur les acquis des élèves, comme l’enquête PISA, ou encore l’étude TIMSS centrée sur les maths et les sciences par exemple, nous développons une base de données mondiale sur les inégalités scolaires. Le but est de comparer la qualité des systèmes éducatifs avec leur degré d’inégalités, tout en prenant en compte leurs évolutions.
Notre mesure des inégalités s’effectue principalement par le calcul des écarts entre les plus riches et les plus pauvres (mesurée ici par le biais d’un indice socio-économique et des différences entre quartiles). Ce faisant, et en comparant la qualité des systèmes éducatifs avec le degré des inégalités, plusieurs catégories de pays apparaissent.
Cette comparaison souligne d’ailleurs qu’il reste possible d’allier une qualité des systèmes éducatifs élevée avec un degré d’inégalités faible. Un grand nombre de pays parviennent à ce résultat : de façon contre-intuitive, c’est le cas de la plupart des pays anglo-saxons, pourtant réputés pour avoir de fortes inégalités.
Ainsi, le Royaume-Uni, l’Irlande, le Canada ou encore les États-Unis parviennent à faire atteindre à leur population un standard minimum sur le plan des compétences scolaires, tout en réduisant significativement les écarts entre les plus riches et les plus pauvres. Quant aux pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne ou l’Italie par exemple, ils affichent un niveau faible d’inégalités, mais leur performance est au-dessous des autres pays riches.
À l’inverse, d’autres pays semblent souffrir d’un double déficit. C’est le cas de la France, mais aussi de l’Allemagne ou de la Belgique. Sur le plan de la qualité de l’éducation, dans notre base de données, le score moyen de la France est ainsi de 495 points seulement, contre près de 530 points pour le Canada. Cette différence peut paraître faible, mais elle représente en réalité près d’une année scolaire de différence. L’écart entre la France et le Japon est encore plus grand et renvoie à un écart de plus de deux années scolaires.
Dans le classement des inégalités au sein des pays de l’OCDE, la France se situe ainsi en première position. Le degré d’inégalités en France est quasiment le double de celui du Canada et s’élève à près de 100 points (contre 55 points pour le Canada). Si l’on suppose que 30 points représentent l’équivalent d’une année d’études dans le secondaire, cela signifie qu’en France, les plus riches ont une avance de plus de 3 années scolaires sur les plus pauvres.
En France, des inégalités qui se renforcent au fil du temps
Les inégalités, inacceptables sur le plan sociétal, ont aussi un coût économique. Nous utilisons, comme mesure de ces inégalités, l’écart qui existe entre les élèves issus de familles avec un niveau socio-économique élevé et ceux issus de familles avec un niveau faible.
Sous l’hypothèse de méritocratie pure, les compétences d’un individu ne devraient, bien sûr, pas être liées au niveau socio-économique de ses parents, mais plutôt à ses capacités cognitives, son goût pour le travail, et d’autres facteurs propres à l’éducation.
Pourtant, les inégalités ont tendance à se renforcer au fil des niveaux scolaires. De plus, le degré d’inégalités augmente aussi dans le temps : il passe de 80 points à 115 points au secondaire entre 1970 et 2020. Le système éducatif ne parvient ainsi ni à effacer les inégalités lors des premières années d’étude (au primaire), ni à les réduire (passage du primaire au secondaire), ni même à les diminuer depuis les années 1970.
Une explication plausible de ces fortes inégalités renvoie régulièrement à la diminution de la mixité sociale dans le système éducatif. Une autre évoque fréquemment la stratégie de sélection des écoles par les parents. Mais, qu’en est-il de la perte économique générée par ces inégalités ?
Un impact sur l’activité économique
Il apparaît important de mesurer le coût économique de ces inégalités pour la nation. Imaginons deux élèves qui entrent en classe de CP et qui poursuivent leurs études. Si, du fait des inégalités, les résultats scolaires des élèves ne sont pas le reflet de leurs réelles capacités et de leurs efforts, alors l’économie perdra fatalement des ressources futures.
En ciblant uniquement les élèves issus des familles les plus « pauvres », nous trouvons que le gain économique est substantiel : si, dès 1970, une politique de discrimination positive avait comblé l’écart entre les deux groupes aux deux extrêmes de l’échelle socio-économique, nous aurions augmenté le PIB de 295 milliards d’euros en 2020. Ceci représente un gain de 0,5 % du taux de croissance de l’économie française. Ce gain peut paraître faible, mais représenterait en réalité un quasi-doublement de la croissance prévue pour 2024.
Dit autrement, en France, le haut niveau des inégalités éducatives a, depuis 1970, engendré une sorte de « pause économique » d’environ 18 mois, alors que d’autres pays continuaient à produire. Si l’on conserve à l’esprit les conséquences économiques du confinement dû à la pandémie du Covid-19, il est aisé de comprendre l’impact colossal que les inégalités éducatives ont sur l’activité économique.
Il nous apparaît ainsi primordial de placer la lutte contre les inégalités scolaires comme une priorité nationale. Non seulement cette action est basée sur le principe d’égalité qui prévaut dans notre démocratie, mais elle permettrait de surcroît de générer une croissance économique plus solide et par là même de à prévenir, si ce n’est à résorber, les problèmes liés à la dette publique. À l’heure des économies budgétaires, investir dans l’éducation s’avère être une décision politique à la fois ambitieuse et délibérément soucieuse d’un avenir propice à la France.
L'argument économique est déroutant. Renversons la perspective : si les inégalités se révèlent économiquement profitables, faut-il les cultiver ?
Le plus grave est - comme d'habitude, d'accuser les inégalités scolaires quand la principale source d'inégalité relève d'un choix politique. Encore une tribune, en effet, qui réussit le miracle de dénoncer les inégalités dans l'école française et l'exception de la France dans le monde... sans jamais rappeler que la France est le seul pays au monde à financer l'école privée.
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- Loys
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On ne sera pas vraiment surpris par l'interprétation de l'ouverture du vote enseignant à l'extrême droite, largement prévisible selon Philippe Watrelot. Une énième tribune de l'ex-président des "Cahiers pédagogiques" pour éreinter ses ex-collègues.
Le constat est là : la société a basculé dans l'extrême-droite, et une partie importante des enseignants avec (même si dans une proportion encore bien moindre que d'autres catégories).
La question de M. Watrelot est donc légitime : "Qu’est-ce qui, dans le discours du RN, peut séduire les enseignants ?" Mais les éléments de réponse, livrés dans un curieux pot-pourri, laissent perplexe, et méritent même d'être commentés. Car il se pourrait bien que l'explication ne se trouve pas dans ces éléments de réponse, peu convaincants et même souvent pétris de contradiction, mais dans le discours même de M. Watrelot, tourné contre les enseignants.
Assurément, le RN promet une revalorisation des enseignants et la restauration de l'excellence. Sur le premier point - même s'il est naïf de croire que le parti d'extrême-droite se comportera différemment -, le blâme n'est donc pas à porter aux enseignants mais à toutes les majorités successives, de droite comme de gauche (y compris par celle soutenue par M. Watrelot), qui ont délibérément et considérablement appauvri les enseignants depuis plusieurs décennies. Sur le second point, l'excellence scolaire, même constat avec l'inflation sidérante des diplômes retirant au travail scolaire de plus en plus de valeur.
Pour le dire autrement, ce ne sont pas les enseignants qui ont abandonné la gauche, mais la gauche qui a abandonné les enseignants.
M. Watrelot considère par ailleurs le "triptyque FEN-MGEN-Maif" comme des "instances de socialisation secondaire", ce qui ne manque pas de laisser perplexe. En quoi partager une mutuelle ou une assurance aurait à voir avec une quelconque socialisation ?
Les IUFM/Espé/Inspé présentés par un ancien formateur comme ayant une "dimension socialisatrice" laissent également perplexe Les écoles normales ne concernaient que le premier degré, pas le second, et les professeurs du second degré n'avaient pas particulièrement un vote extrémiste avant la création des IUFM.
D'ailleurs, comme le mentionne M. Watrelot de façon assez contradictoire, de plus en plus d'enseignants le deviennent sans passer par la formation et le concours : les contractuels, dont les effectifs explosent dans l'EN. Voilà qui invalide quelque peu la théorie des vertus des IUM/Espé/Inspé...
Mais, pour M. Watrelot dont c'est la cible habituelle, il s'agit surtout d'accuser les concours enseignants : on ne voit pourtant pas bien le rapport avec un vote extrémiste, les concours enseignant ayant... toujours existé.
M. Watrelot dénonce également une syndicalisation enseignante en baisse et en trompe-l'œil, avec des motifs "souvent utilitaires" (et donc - semble-t-il - regrettables ?). On ne voit pourtant pas en quoi de telles raisons seraient nouvelles, a fortiori dans un système exposant ses agents à des conditions de plus en plus dures. Encore une fois l'ex-président des "Cahiers pédagogiques" règle ses comptes avec ses vieux adversaires : ici les syndicats.
Curieusement ("la socialisation politique est influencée par le milieu social du conjoint"), M. Watrelot lie également l'évolution du vote enseignant avec... la féminisation du métier.
M. Watrelot, qui avoue avoir longtemps récusé le principe d'une vocation enseignante (avec les mêmes arguments néo-libéraux qu'emploient ceux qui ont fui l'enseignement pour des fonctions plus gratifiantes : d'un métier qu'on ne ferait plus à vie), trouve finalement des vertus à la "vocation". Enfin, de curieuses vertus puisque la vocation aurait, finalement, une fonction masochiste :
Ne pas supporter patiemment tous ces maux vaudrait de glisser à l'extrême-droite, mais en rien leurs causes !La « vocation » – ou pour le dire autrement le « sens du service public » ou « l’intérêt des enfants » – n’est plus une raison de tolérer le poids de la hiérarchie, la dégradation des conditions de travail et un déclassement largement documentés.
Mais le pire est à venir : les enseignants, parce qu'ils sont enseignants, auraient vocation à glisser naturellement à l'extrême-droite. Ce que M. Watrelot, progressiste auto-proclamé, appelle depuis des années "le conservatisme enseignant".
Traduisons la pensée de M. Watrelot, qui n'a rien de nouveau, les enseignants glissent à l'extrême-droite parce qu'ils ont toujours été réactionnaires.Aussi les opinions politiques des enseignants sont-elles de plus en plus perméables aux idées conservatrices voire réactionnaires, d’autant plus qu’elles les renvoient à un hypothétique âge d’or où l’école fonctionnait (mais pour quels élèves ?) et leur profession était respectée.
M. Watrelot devrait pourtant renouveler son argumentaire ranci par les années.
L'hyperbole de "l'âge d'or" (d'avant l'unification du collège en 1975, il y a cinquante ans... ce qui ne concerne plus beaucoup d'enseignants en poste) est un outil rhétorique pathétique pour discréditer les enseignants, quand il n'est question que d'une évolution négative (documentée depuis les années 1980) : il suffit, sauf à pratiquer le déni, d'observer l'accroissement très net des difficultés scolaires pour tous les élèves (au niveau primaire comme au niveau collège) ou la dégradation saisissante de leur rémunération malgré des études allongées.
Il est vrai qu' en 2015 M. Watrelot regrettait la revalorisation de 1990 et doutait de l'utilité d'une nouvelle revalorisation des enseignants !
Argument parfaitement contradictoire : "la réussite" à devenir enseignant ne concerne précisément que... les classes populaires ! Pour les classes les plus aisées, accéder au métier d'enseignant est considéré comme un pis-aller ou un déclassement. Quant au statut, dans l'état actuel des choses, il est beaucoup moins enviable compte tenu de la dégradation du métier.Pour mieux comprendre le conservatisme enseignant, n’oublions pas non plus que les profs sont d’anciens « bons élèves » (et de moins en moins issus des classes populaires, malgré des « exceptions consolantes »). Pourquoi vouloir changer un système qui vous a fait « réussir » et qui vous a donné un statut ?
Comprenons bien. Les enseignants seraient, dans l'esprit de M. Watrelot, fondamentalement partisans des inégalités sociales (en accord avec leur vocation évoquée plus haut, sans doute !). Dans cette foule d'aveugles, seuls des penseurs éclairés comme M. Watrelot aurait conscience de la reproduction sociale.« Si j’y suis arrivé avec du travail, pourquoi n’y arriveraient-ils pas ? C’est de la mauvaise volonté ! », « Il y en a qui sont "doués" et d’autres pas. Il faut sélectionner selon le mérite » : ce sont des phrases que l’on entend en salle des profs. Elles peuvent sembler anodines mais, outre qu’elles nient tout ce que nous dit la sociologie de l’éducation, elles constituent le fondement du maintien d’un ordre inégalitaire.
Parce qu'ils défendent la notion de travail scolaire ou de mérite (avec - précisément - toutes les précautions que nécessite la conscience de la reproduction sociale), les enseignants ne pouvaient, selon M. Watrelot, que basculer à l'extrême-droite.
Mais si, au contraire, c'était une certaine gauche qui avait abandonné ces notions ? Qui avait rendu l'école moins efficace ? qui avait aggravé la reproduction sociale, par les atteintes au métier (maltraitance professionnelle, statut dégradé, salaires érodés), par l'organisation du grand mensonge scolaire et par la promotion de méthodes pédagogiques aussi culpabilisatrices que désastreuses ?
On se souvient qu'en 2015, la grande majorité des enseignants, qui défendaient les disciplines scolaires ou un enseignement structuré contre l'absurde réforme du collège et de telles méthodes (promues par une certaine gauche à coup de décrets et au mépris des mouvements enseignants, mais avec le soutien... de M. Watrelot), étaient déjà qualifiés de réactionnaires. En 2016, M. Watrelot soutenait ainsi, contre "la pression corporatiste", la disparition des langues anciennes comme disciplines d'enseignement ( lien archivé ). Enseigner le latin ou le grec ancien, n'est-ce pas per se une prédisposition à la pensée réactionnaire ?
Certains - dont un formateur de l'ESPE - étaient même déjà allés plus loin en taxant l'école de racisme et d'islamophobie (voir notre analyse de 2016 ).
On peut légitiment se demander si, depuis des années et des années, de tels discours anti-enseignants - tout en se revendiquant "de gauche" (pour exemple, ce fil ouvert en 2013 dans cette veille ou notre analyse sur le site... de 2014 ) - ne produisent pas le glissement politique que l'on observe avec effroi.
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