Réflexions désabusées sur de pâles copies de BTS
Lorsqu’on passe quatre jours pleins à corriger des copies de BTS, et même en essayant de voir le bon côté de cette mission (« je vais m’enrichir au contact des collègues », « ça va me changer des copies de bac ou de brevet », « ce n’est pas trop loin de chez moi », au choix), on ressent à la vérité une certaine tristesse, mêlée d’ennui et de colère.
C’est ce qui m’est arrivé la semaine dernière. Plutôt que de ronger mon frein, j’ai entrepris de relever, avec tout le sérieux possible, quelques erreurs constatées ici ou là dans les copies de ces étudiants de niveau bac+2.
J’y vois un prolongement de l’article « Copies non conformes » écrit par Loys, et l’occasion de réagir aux discours bien-pensants qui nous sont serinés à longueur de journée sur les ondes ou sur papier… Je pense en effet que le niveau baisse, et qu’il serait grand temps de prendre toute la mesure de cette chute vertigineuse, car ça y est, elle atteint désormais le cœur de la langue, autrement dit le cœur des logiques de pensée. La grammaire et le lexique ne sont plus structurés convenablement dans ces cerveaux abandonnés, tout est devenu flou, et cela atteint par ricochet les capacités même de réflexion et d’analyse.
Lézards peu appliqués
Je précise que j’ai corrigé des copies appartenant aux séries d’arts appliqués (design d’espace, mode, design de produits, communication visuelle…), voies qui accueillent des étudiants plutôt éveillés, curieux et ouverts, généralement issus de familles de classe moyenne (parents ayant souvent fait des études et prêts à soutenir le projet professionnel de leur enfant, cursus antérieur suivi dans des lycées corrects, écoles recrutant sur dossier et/ou sur entretien…), autant de circonstances globalement favorables à l’éclosion de jeunes talents.
Je précise également que le sujet consiste en une synthèse de documents suivie d’une écriture personnelle, deux exercices à terminer en 4 heures, et portant sur un thème commun. Pendant l’année, deux thèmes sont explorés (cette année, c’était le sport et le rire) et un seul est retenu pour l’épreuve nationale (cette année, c’était le rire). Tout au long des deux semestres de cours, les étudiants sont formés aux méthodes spécifiques des deux exercices (travail du plan, de la reformulation, consignes générales pour l’introduction…) ainsi qu’aux contenus attachés aux deux thèmes, tirés d’articles et d’essais, d’œuvres littéraires, de dessins humoristiques ou autres. Ils sont donc censés être capables de situer les textes proposés à l’examen dans l’immense ensemble des « entrées » possibles dans tel ou tel thème, de lire correctement les documents, de proposer une réflexion pertinente et ciblée, de formuler leurs idées de façon précise et claire, etc… Je ne m’occuperai ici que des problèmes touchant cette seule et unique compétence, car c’est elle qui me semble la plus menacée.
Tout d’abord, disons que les documents émanaient de quatre auteurs : Henri Bergson, Jean de La Bruyère, Axel Kahn et Dominique Noguez. La première chose qui m’a frappée est la difficulté des étudiants à écrire correctement ces noms. J’ai ainsi eu Alex Kahn, Bruyère (sans « la »), Dominique de Noguez, Henry Bergson ou Bersgon. C’est un détail, peut-être, mais il montre au mieux un défaut de concentration, au pire une indifférence coupable.
La ponctuation n’est pas la politesse des élèves
Parlons de la ponctuation. Elle structure la phrase et lui donne son sens, et il est donc très important de savoir repérer les frontières entre les groupes de mots pour placer les pauses aux endroits voulus. Quelques exemples de phrases bizarres montreront que ce discernement basique tend à disparaître :
- « L’homme use du pouvoir du langage pour ironiser ses propos afin de tourner en ridicule et de remettre en cause une personne. Mettant cette personne dans le rejet ».
- « Bergson souligne de plus, que le rire est fait pour humilier. Il doit donner ainsi à l’individu, dont on se moque le sentiment d’une impression pénible. Le rire est donc une fonction démontrée ».
- « En effet, qu’importe soit les moyens pour faire rire, avec surprise, exagération, gestuelle, vocabulaire ou accidentel, le rire se propage dans un groupe ce qui lui donne et confère à tous une force sociale et une force d’énergie positive ».
J’ai renoncé à relever les cas où une virgule apparaît juste après le sujet de la phrase, tant ils étaient nombreux. Il me semble qu’on pourrait facilement associer les pauses mal placées à la façon de parler de certains journalistes ou animateurs de télévision, et je forme l’hypothèse que ces erreurs sont dues en partie au fait que les étudiants n’ont plus guère de lien avec la langue écrite. Ils apprennent à écrire (et pratiquent ensuite l’écrit) non pas en suivant les codes de l’écrit, mais ceux de l’oral. Et pas le meilleur oral.
Défense et illustration du coton-tige
Cette référence unique à l’oral ne serait pas un réel problème si les oreilles de ces étudiants étaient bien lavées… mais il s’avère que ce n’est pas le cas. Il suffit de lire certaines confusions lexicales pour supputer cette surdité. Quelques exemples de substitutions troublantes :
- « tout de fois » au lieu de « toutefois »
- « souscite » au lieu de « suscite »
- « en faillible » au lieu de « infaillible »
- « constater » au lieu de « contester » (« le rire peut tout constater, il est une arme »)
- « enfin » au lieu de « afin » (« enfin de se venger »)
- « tenter » au lieu de « tendre » (« Bergson tente à penser que… »)
- « apathie » au lieu de « empathie » (« le rire nous prive de toute apathie à l’égard de notre cible »)
- « collegtive » au lieu de « collective » (« le rire est une sanction collegtive »)
- « au profil » au lieu de « au profit »
- « réflectives » au lieu de « réflexives » (« les capacités réflectives d’un individu »)
- « en un éclat » au lieu de « en un éclair »
- « désintéressement » au lieu de « désintérêt »
- « se rassemblent » au lieu de « se ressemblent »
- « caractère » au lieu de « critère » (« le rire d’un groupe n’est accessible qu’à ses membres. Il en vient à devenir une caractéristique d’acceptation ou non d’un individu au sein d’un groupe social allant jusqu’à un rejet méprisant »).
- « investigateur » au lieu de « instigateur » (« si l’on prend comme exemple la célèbre tirade de Cyrano sur son nez on remarque que c’est son adversaire qui est l’investigateur de la raillerie sur son nez »).
- Ma préférée, qui montre que les candidats avaient au moins lu Harry Potter : « détraqueurs » au lieu de « détracteurs » (à propos des caricatures de Mahomet : « la liberté de la presse et quelques explications plus tard auront raison de ses détraqueurs »).
Les phrases relevées ici montrent évidemment de nombreux problèmes de construction, mais je préfère ne pas m’éloigner de mes moutons et rester concentrée sur les erreurs liées aux paronymes. Le temps m’étant compté, je n’ai pas tout relevé, mais cette liste me semble suffisante pour appuyer mon hypothèse : les étudiants, n’ayant que l’oral en mémoire, écrivent une langue de sourds. Ils confondent des mots proches et écrivent des phrases incompréhensibles à tout autre qu’un professeur de Français déjà aguerri. Je ne me plains pas de l’effort que demande l’élucidation de ces phrases, ni du temps passé à décortiquer ce que telle ou telle formulation pouvait bien signifier. Cela fait partie de mon métier. Je voudrais seulement qu’on mesure les implications terribles de ces confusions sur la clarté même de l’analyse dont ces étudiants sont capables. Jusqu’à présent, j’étais confrontée essentiellement à des fautes d’orthographe, qui compliquaient déjà beaucoup ma compréhension des copies. Je me suis trouvée pendant ces quatre jours de correction face à des erreurs plus gênantes, car relevant de la structuration du lexique. Que se passe-t-il dans un cerveau qui confond « se rassembler » et « se ressembler » ? « apathie » et « empathie » ? Comment comprend-on le monde quand on mélange ces termes ? Quelle vision des rapports humains ou des sentiments ce genre de confusions entraîne-t-il ? Je n’en sais rien, mais cela me plonge dans la plus grande perplexité.
Le grand flou autistique
Lorsque l’on combine le flou lexical et le brouillard grammatical, cela donne :
- « Axel Kahn met en avant la puissance et le danger du rire sur l’autorité en citant au Nom de la rose, qui, au sein de la société, tend à supprimer les classes sociales » (les titres ne sont jamais soulignés).
- (à propos de Jean-Marie Bigard) « Dénonçant et critiquant sans aucune pudeur le public l’adorait, certains le trouve (sic) pourtant trop décapant ».
- « Nous avons vu que le rire peut s’étaler du plus positif qu’il soit jusqu’aux aspects les plus sombres de l’homme ».
- « Il faut nuancer celui qui fait rire »
- « Pour les Grecs, c’est un outil pour apprendre ; de bien être mais pendant longtemps en Occident la religion chrétienne a interdit de rire voyant dans le rire la manifestation du diable ».
- (à propos de Molière) « Les fondements de ses pièces ont une réflexion qui est donnée aux spectateurs en jouant ».
- « Le rire s’apparente comme utile pour l’homme et son mécanisme, contrairement à la notion d’humour qui ne suppose pas les mêmes attitudes ».
- « Le rire peut être plus ou moins fort. Il permet de faire rire les gens, car c’est quelque chose de communicatif et d’éprouver du bonheur ».
On constate que derrière ces formulations hasardeuses ou mystérieuses somnole une pensée pauvre, entravée par les approximations logiques et lexicales. Les étudiants voudraient sans doute faire mieux, mais ils n’y arrivent plus. Ils aimeraient certainement suivre plus confortablement une logique, un plan, le fil d’une réflexion, et être capables de se mettre à la place de leur correcteur pour marquer les étapes de leur devoir. Au lieu de cela, ils semblent rester le nez collé à leur copie, incapables de se projeter au-delà des trois ou quatre mots qui viennent. Ils pataugent. Ma perplexité n’est que la conséquence de la leur, en somme.
Dans mon cas, ce sentiment est vite relayé par la colère, quand j’imagine les solutions que le Ministère de l’Education nationale proposera bientôt pour régler ce problème. Au choix : supprimer l’examen au profit du contrôle continu, ou modifier les exercices et leurs critères de correction (ce qui est déjà largement le cas).
On parie ?
Sylvie