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Les neurosciences au cœur de la classe
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Attention scientisme de haut niveau dans cet éditorial de Laurent Alexandre dans "Le Point" du 06/09/17 : "Blanquer contre Torquemada"
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"libérer", "innovateurs" : voilà un lexique qui fleure bon la disruption libérale.L'Education doit libérer ses innovateurs
Heureusement l'intelligence naturelle de Laurent Alexandre, penseur averti et sérieux de l'école*, pallie cette grave faillite. L'urgence ("il reste bien peu de temps") constitue - curieusement - une injonction à NE PAS penser.Le système éducatif n'a pas pris une seconde pour penser sérieusement à sa modernisation, alors qu'il reste bien peu de temps avant le déferlement de l'intelligence artificielle (IA).
* Laurent Alexandre vient de publier La Guerre des intelligences (2017) : "comment l'éducation doit faire sa révolution". On comprend mieux pourquoi le transhumanisme occupe moins ses dernières chroniques dans "L'Express" (la dernière fustigeait par exemple le "conservatisme des enseignants [….] archaïque" dont les syndicats étaient comparés à l'inquisition de Torquemada). Il s'agit donc d'une légitime entreprise publicitaire qui n'a évidemment rien de répréhensible dans le cadre d'une honorable activité journalistique.
Le ton de la chronique devient prophétique, et même apocalyptique ("des hordes de naufragés"). À la menace s'ajoute l'injonction d'égalité et de démocratie (contre une "société injuste") : qui donc pourrait s'y opposer ?Les méthodes d'enseignement doivent faire leur révolution, en laissant une large place aux expérimentations. Sinon, nous aurons une société injuste, avec une aristocratie de l'intelligence qui pilotera l'IA et des hordes de naufragés du numérique.
Reste que le raisonnement, appuyé sur un postulat non démontré (en l'état de l'école, l'intelligence artificielle menacerait l'intelligence humaine) est malheureusement difficile à suivre tant il est vague. Il s'agit en effet de promouvoir des "méthodes d'enseignement" révolutionnaires à l'école (mais lesquelles ?) pour faire naître une nouvelle forme d'intelligence (mais laquelle ?) qui permettra à tous de "piloter l'intelligence artificielle" (mais comment ?). Comme on le voit, le tableau est quelque peu brumeux. On ne sait pas même de quelle école il parle : primaire, secondaire, supérieure ?
En admettant le postulat de Laurent Alexandre sur la menace de l'intelligence artificielle, si l'École retrouvait une certaine efficacité à instruire, qui dit qu'elle n'assurerait pas - au contraire - parfaitement sa mission dans un monde en évolution ?
Mais quel "projet" pour quelle "modernisation" ? Tous ces mots ne veulent pour l'instant rien dire.La modernisation de l'école ne se réglera pas en distribuant quelques iPad au collège : il faut penser le projet avant l'outil.
Curieux car, comme nous le verrons, Laurent Alexandre cite comme "héros de l'école" des personnages qui s'apparentent davantage à des idéologues hors sol qu'à des praticiens pragmatiques.L'ère de l'idéologie de la pédagogie prendra fin, pour laisser place à la preuve statistique du learning analytic.
L'Histoire nous l'enseigne : les pires idéologies aiment, au nom de la science, à se présenter comme des anti-idéologies.
L'objectivité scientifique voudrait que l'on se dispense de tout prospectivisme hasardeux et que l'on observe par exemple que les neurosciences, encore balbutiantes, ont bien peu fait jusqu'à maintenant la démonstration de leur pertinence et a fortiori de leur efficacité.L'apprentissage devient une véritable science fondée sur l'observation objective de la structure du cerveau et de ses modes de réponse. Le système va sortir de l'âge du bricolage pour devenir une technologie.
Il est passionnant de constate que, derrière le mépris évident de Laurent Alexandre pour la tradition scolaire ("l'âge du bricolage"), son scientisme appelle à la transformation d'une simple technique (que certains appellent déjà "sciences de l'éducation") en une "technologie" de l'ère industrielle, avec cette confusion qui suppose que toute technologie, puisqu'elle est issue des progrès de la science et de la technique, est nécessairement un progrès par elle-même. De ce point de vue il est amusant de relire toute la chronique de Laurent Alexandre en remplaçant les termes "éducation", "école" ou "enseignement" par "agriculture" ou "alimentation".
On se demande bien, puisqu'il y a analogie entre éducation et NASA, sur quoi elle se fonde. Quel rapport entre un système éducatif et une agence spatiale ?Pour réussir cette mutation, l'Education nationale doit évoluer comme la Nasa : l'agence spatiale américaine considère que son vrai rôle est désormais d'être une plateforme d'aide et de promotion des innovateurs spatiaux.
A vrai dire, les "innovateur spatiaux" prestataires privés de la NASA ne sont que deux : ils permettent à la NASA de réduire certains coûts de développement. Rappelons d'ailleurs que c'est la NASA qui a sauvé "Space X" de la faillite à plusieurs reprises (voir ce billet d'Eric Berger (en anglais) rappelant les échecs de lancement et les multiples déboires financiers de "Space X").Comprenant qu'elle ne peut pas tout faire, elle est devenue un incubateur au service des start-up innovantes. Elle a d'ailleurs massivement soutenu Elon Musk et sa fusée SpaceX.
Précisément, en France, plusieurs millions d'euros publics viennent d'être investis pour permettre à des entreprises et à des startup EdTech d'expérimenter l'intelligence artificielle pour l'apprentissage de la lecture en début de primaire (avec "pré-industrialisation" en 2019). Un investissement sans risque, donc. Sauf pour l'État et les élèves.
Pour gagner de l'argent et envoyer des touristes fortunés dans l'espace comme rêve Elon Musk ?C'est ce modèle que l'école doit choisir : devenir la matrice de tous les innovateurs internes et externes.
On se demande bien comment Laurent Alexandre choisit ses "innovateurs de terrain" : certains n'ont jamais enseigné dans le primaire ou le secondaire (François Taddei, Nicolas Sadirac) ou n'enseignent plus (Nicolas Le Luherne, François Lamoureux) : il faut croire que c'est ce qui fait d'eux des "héros"...Et la France ne manque pas de talents dans cet univers. A côté de François Taddei ou de Nicolas Sadirac, le visionnaire qui dirige l'école 42, il y a une myriade d'innovateurs de terrain comme Nicolas Le Luherne, François Lamoureux, Marie Soulié, Eric Hitier et les membres des collectifs enseignants Inversons la classe.
Rappelons que "le visionnaire qui dirige l'école 42", cette école informatique sans professeur, sans programme, sans cursus et sans diplôme (mais avec une brutale sélection à l'entrée), est aussi celui qui vient de déclarer récemment : "Apprendre ne sert à rien, c’est dangereux et ça rend idiot" . Xavier Niel, qui a fondé et financé cette école avec sa fondation, a également déclaré en 2016 : "l'École 42, c'est un piratage du système. C'est prendre l'éducation et dire : On n'a plus besoin de profs, c'est appliquer l'économie collaborative à l'éducation... On est les premiers à le faire au monde, et c'est une forme de hacking. Parce que l'État n'a plus d'argent, mais, moi, j'en ai, je pense qu'investir dans un truc comme l'École 42, c'est en faire bon usage."
Quant à François Taddei, il est membre d'une organisation américaine, Ashoka, qui aspire à réformer notre école selon une philosophie bien particulière (voir mon analyse sur le documentaire Une Idée folle ).
A noter que les professeurs "de terrain" se sont pour certains (Marie Soulié, Eric Hitier) félicité de la reconnaissance de Laurent Alexandre, même si une responsable du SE-Unsa, Stéphanie de Vanssay, a pu protester qu'ils faisaient l'objet d'une récupération. Reste qu'on a ici, avec ces noms, une idée un peu plus précise des pédagogies révolutionnaires que Laurent Alexandre appelle de ses vœux : le bon vieux constructivisme scolaire, le même d'ailleurs qui est promu par l'institution.
Précaution oratoire : "aucune pédagogie miracle" mais, malgré tout, des méthodes qui doivent "faire leur révolution".Il n'y aura aucune pédagogie miracle parce que les interactions entre instruction, structure et fonctionnement du cerveau sont innombrables et d'une incroyable complexité.
La "complexité" du fonctionnement du cerveau explique en effet la prudence des scientifiques à ce sujet. Mais Laurent Alexandre ne s'embarrasse pas de ces scrupules d'un autre âge puisque, selon lui, l'apprentissage - d'ores et déjà ! - "devient une véritable science".
Quelle chance : le fondateur de "42" est également celui de la "station F", cet incubateur de startup qui vient d'ouvrir à Paris et qui abrite Ashoka !Pour balayer tout le champ des neurosciences appliquées à l'éducation, il va falloir des centaines de start-up. C'est tout un écosystème d'Edtechs (educational technologies) qu'il faut développer autour des « innovateurs enseignants de terrain ».
"bousculer l'enseignement" : encore le lexique du management brutal.Il faut par ailleurs des esprits neufs venant d'autres horizons pour bousculer l'enseignement.
Ces esprits neufs sont tout trouvés : il suffit de ne rien connaître à l'école pour en parler : Laurent Alexandre en est le meilleur exemple et avec lui bien d'autres entrepreneurs soucieux de l'avenir de l'école publique. Les "innovateurs" n'étant pas tout à fait "de terrain", ils feront également parfaitement l'affaire.
Sans cette "fibre entrepreneuriale", comment résister en effet ?Devenir une pépinière de start-up innovantes permettra de faire venir des gens d'horizons nouveaux ayant une fibre entrepreneuriale et psychologiquement capables de résister à la bureaucratie.
Curieux pour le reste car François Taddei, Nicolas Le Luherne, Marie Soulié ou les membres de "Inversons la classe" représentent ou ont reçu le soutien public de l'institution.
Ce qui signifie, en termes logiques, que les autres ne doivent pas l'être. On comprend en effet pourquoi cela constitue un "tabou"...Cela permettra aussi de contourner le tabou ultime de l'Education nationale : les innovateurs doivent être payés correctement.
La perspective de mieux rémunérer ceux qui innovent (en n'enseignant plus !) entre bien dans les vues de l'institution scolaire également. Ce discours en apparence iconoclaste n'est pas si loin du discours des majorités successives et la promotion de l'innovation dans l'éducation.
L'urgence et l’absence de choix.Si nous n'agissons pas rapidement, nous sacrifierons l'avenir de nos enfants et nous aurons une instruction made in Californie en 2040.
Curieux car le techno-constructivisme fait précisément le jeu des grands groupes technologiques : "inversons la classe" avec YouTube et en utilisant des produits Microsoft, Google ou Apple.
Heureusement les startup françaises (en cheville avec ces groupes) vont nous en libérer et les "enregistreurs cérébraux non invasifs" seront français.L'émergence d'enregistreurs cérébraux non invasifs très peu coûteux capables de mesurer de nombreuses constantes en permanence va permettre de corréler ces données à nos caractéristiques cognitives pour optimiser l'enseignement. Les géants du numérique, qui ont une connaissance de plus en plus fine des caractéristiques cognitives de nos enfants grâce aux smartphones, qui savent tout de notre cerveau, auront un avantage considérable.
Ce serait si dommage que l'enseignement personnalisé ne soit pas la meilleurs solution, compte tenu de toutes les données personnelles accumulées par Facebook (et d'autres).L'IA des géants du numérique permettra demain de déterminer très précisément les meilleures méthodes pédagogiques pour chaque enfant. Le patron de Facebook a d'ailleurs déclaré : « Nous savons que l'enseignement personnalisé est la meilleure solution. »
Mais voilà qui est étonnant : après nous avoir mis en garde contre une "instruction made in Californie", Laurent Alexandre nous enjoint donc d'en suivre la marche en citant Mark Zuckerberg ou en donnant l'exemple d'Elon Musk.
Il manquait des points d'exclamation à ce ton oraculaire et menaçant. La direction d'ateliers Canopé (après une courte carrière dans l'enseignement), rien de mieux pour rapprocher du "terrain" en effet...L'Education nationale doit encourager ses innovateurs et donner plus d'autonomies à tous les hommes de terrain comme Nicolas Le Luherne et faire pousser des centaines de start-up en son sein. Sinon, elle deviendra la prochaine sidérurgie !
L'éducation est de nouveau comparée à une industrie (et les élèves à des produits industriels ?), ce qui est assez étrange : la sidérurgie a disparu en France non pas pour des raisons de modernisation, mais de rentabilité...
Voilà qui fait réfléchir à la notion de progrès...
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Dans "L'Express" du 6/9/17 : "Éducation et neurosciences: "En matière d'apprentissage, il n'y a pas de fatalité"
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4/12/17
www.lalettredeleducation.fr/Edouard-Gent...iser-toutes-les.html
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