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Autorité et discipline à l'école
- Loys
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Le 12/04/24 "M6" a publié sur Twitter (avant de le dépublier) un extrait (3'30) de sa série de reportages "Au coeur du collège" diffusés à partir du 21/04/24.
La scène, qui se passe dans un collège de l'éducation prioritaire, est révélatrice d'une certaine conception de l'autorité et de la gestion de classe (même s'il ne faut jamais oublier la difficulté à enseigner dans les établissements difficiles, même dans une classe à effectifs réduits).
Après la classe, la professeur théorise sa (non) gestion de classe, et même devant la classe en s'adressant ainsi à l'élève harcelée : "Il est nécessaire que tu comprennes que ce n'est pas nécessaire de réagir". L'élève, face en effet à l'absence de réaction de sa professeur, fait preuve de bon sens : "Bah si je dois réagir".
Le professeur répète ensuite les éléments serinés en formation (voir tout au long de ce fil ouvert il y a des années) :
Dans des situations de harcèlement ouvert, le "dialogue" n'est pas une option (et a fortiori le seul dialogue avec la victime de harcèlement devant la classe).Quand il y a des problèmes de comportement, bien sûr je sévis s'il est nécessaire de sévir. Mais j'ai toujours mis en place un dialogue avec les élèves. C'est très important, la communication, tout le temps, toujours.
Et à l'évidence notre collègue ne sévit ici que contre la victime du harcèlement : quand l'élève harceleur répète des invectives ("dog dog", "doug doug", "chien chien", "tu es cringe", "dog dog", "allez viens mon dog dog", "aigri", aigri") ou éclate de rire, rien. Quand l'élève harcelée désigne son harceleur, la professeur lui demande le silence ("hep, hep, hep") et, quand l'élève harcelée doit monter le ton pour être entendue ("ta gueule"), c'est elle qui est exclue.
Le monde à l'envers en somme.
On entend même un élève formuler l'évidence : "Mais, Madame, elle part vite parce que vous êtes trop gentille avec..." L'élève est interrompu par le regard noir de sa professeur.
Pire : l'élève harceleur peut s'étonner, après l'exclusion, que la professeur ("et au final qui est-ce qui est sanctionné ?") désigne la victime du harcèlement au lieu du harceleur.
Dans cette conception censément progressiste de l'autorité, le harcèlement prospère.
L'élève harceleur, avec d'autres, a parfaitement saisi les enjeux, n'hésitant pas à renverser perversement les rôles ("Cest pas poli de montrer du doigt", "Je m'excuse, elle me dit ta gueule !"), à interrompre la prise de parole du professeur ou à faire suivre ses invectives répétées et ses railleries ouvertes par des excuses non demandées et factices, dont l'élève harcelée n'est pas dupe. Il se montre même insolent après l'exclusion ("Tu n'as pas l'impression que tu l'as bien cherchée, là, quand même ? - Non.").
* * *
Face à cet échec reconnue par l'enseignante elle-même en fin de séquence, il suffisait de reconnaître des erreurs d'appréciation : personne n'est parfait face à une classe.
Mais, sur Twitter , une collègue de lettres, secrétaire générale académique et militante des "Cahiers pédagogiques", défend vivement cette absence de réaction de notre collègue dans le reportage et en fait même un modèle. Une défense d'autant plus intéressante, donc, qu'elle révèle une conception de l'autorité expliquant bien des déshérences dans l'école actuelle, dont cet extrait ne donne qu'un aperçu.
Justification qui mérite quelques commentaires :
L'alternative, selon Véronique Baslé, serait donc exclure la victime du harcèlement ou bien gifler le harceleur. L'absence de réaction juste serait la preuve du "calme" et de la "patience" .Bcp de gens glosent sur son laxisme, le relient avec le harcèlement. Mais que diraient ces mêmes gens si la collègue insultaient ou giflaient ce jeune ?
Ici, c'est surtout la victime de harcèlement qui est calme, mais perd précisément son calme à cause de l'absence de réaction de la professeur qui laisse la situation dégénérer.
Spéculation qui transforme un harceleur de fait en victime possible de harcèlement, justifiant par là-même de laisser faire des actes de harcèlement, et qui oublie au passage que les garçon sont trois à pratiquer le harcèlement groupé ici.Il est horripilant dans cette séquence mais peut-être que cette "tête à claque" est lui-même ou a lui-même subi des moqueries ?
Et voilà précisément ce qui est terrifiant pour un (et donc plusieurs) professionnels de l'enseignement.A-t-elle raison de sortir la jeune fille et pas le garçon ? Je n'en sais fichtre rien
Nouveau confusionnisme de la pensée faussement complexe. Ici le harcèlement est sous les yeux de tous : à plusieurs, et à plusieurs reprises. Il est d'ailleurs reconnu par la professeur elle-même ("je comprends que tu sois embêtée", "Laissez-la tranquille", "R***, arrête de la chercher", "j'aimerais que vous arrêtiez de la chercher").Parfois on sent des trucs qui se passent, un sourire en coin entre deux élèves juste quand on se retourne, c'est fugace, une même parole peut s'interpréter différemment et les champion•nes de la provoc que peuvent être des ados s'y entendent très bien quand il s'agit de nier l'insolence avec une mauvaise foi absolue.
Spéculation de nouveau : l'élève qui réagit "de façon agressive" est envoyée à la vie scolaire "pour redescendre en pression" et le discours tenu à la classe après l'exclusion n'envisage pas de sanction pour le principal harceleur et accuse la seule élève harcelée ("Vous savez comment est D. de caractère, qu'elle part très très vite"). "Et au final qui-est-ce qui est sanctionné ?" demande la professeur, qui apporte la réponse : "surtout D" (l'élève harcelée) même si à la fin les trois élèves harceleurs se voient demander d'"aller voir la CPE".Qui dit que ce n'est pas le garçon qui au final a pris une retenue et la fille juste être sortie de là pour ne plus subir les moqueries ?
Ce qui est terrifiant, c'est l'aveu qu'il faille sortir un élève de la classe pour qu'il ne subisse plus les moqueries.
Ici est donc justifié le renoncement à exercer l'autorité, avec des arguments qui laissent pantois puisque le harcèlement est répété et public ou qu'une exclusion ne relève pas d'une "confrontation", au nom de la préservation de "l'énergie" ? Au demeurant, dans cette séquence, beaucoup d'énergie pour prendre, à la fin et trop tard, une mauvaise décision.Et si après avoir vertement enguirlandé le garçon, été à la confrontation stérile avec lui (le jeu de la mauvaise foi, j'ai rien dit m'dame, c'est l'autre qui monte dans les tours pourquoi vous vous en prenez toujours à moi etc, qui vous pompe une énergie folle et peut vous faire sortir de vos gonds) le gars s'était vengé de la fille à la récré suivante ?
Pire : le renoncement à l'autorité en classe est justifié par l'effondrement de l'autorité en dehors de la classe (avec une nouvelle spéculation).
Au fond, c'est la peur qui semble justifier l'absence de réaction.
Le renoncement à l'autorité est même théorisé ici.Je signale au passage que la méthode pHARe consiste précisément à faire changer d'attitude le présumé harceleur en ne punissant pas dans un premier temps mais en lui faisant prendre conscience de la gravité de ses actions tout en lui montrant qu'on n'est pas dupe.
Le harceleur devient "le présumé harceleur", et tant pis pour les faits de harcèlement que toute la classe avec la professeur a pu constater.
On se demande où est le "changement d'attitude" à espérer ici...
L'inaction justifiée par "la flemme", il fallait oser. Flemme de faire un plan de classe, flemme de se confronter au harceleur (mais pas à l'élève harcelée). Mme Baslé se revendique "féministe" mais difficile de le croire dans cet exemple.Il est facile de se dire en revoyant les images que le gars ne devrait pas se trouver au fond adossé sur le mur, avec ses copains en ligne de mire mais devant face à la prof - en même temps que celui ou celle qui n'a jamais eu la flemme de faire un plan de classe jette la première pierre
La recherche d'une punition éventuelle, c'est après l'exclusion : la priorité est au bon déroulement du cours et au respect des élèves. Une exclusion sans attendre pour insultes répétées ("dog dog", "doug doug", "chien chien", "tu es cringe", "dog dog", "allez viens mon dog dog", "aigri") ou insolence ("il y a aucune preuve" et éclats de rires) suffisait et permettait à la situation de s'envenimer.facile aussi de dire qu'aurait suffi un bon "machin, ça commence à bien faire" sourcils froncés, silence à l'appui, puis face à l'inévitable "mais m'dame etc" la même phrase répétée en détachant les syllabes (inutile d'en rajouter, on se noie dans des menaces néfastes, quand on menace, c'est comme au poker, si on bluffe trop et qu'on n'a pas de jeu, on court des risques, quand on menace, il faut être prêt à faire ce qu'on dit. Mais là encore micro décision, en forme, face à une classe pas trop agitée, c'est pas le cinquième incident en 10 mn. Et puis si on l'a déjà fait le "ça commence à bien faire" et que malgré tout ça n'a pas pris, il faut cette fois chercher vite une menace de punition réalisable.
Au demeurant, les injonctions non suivies ont bien lieu ici : elles concernent le seul élève harceleur. La prise de carnet n'a aucun effet sur lui et les injonctions polies et répétées ne servent à rien ("je prends le carnet, R***", "Laissez-la tranquille", "***, arrête de la chercher", "***, je vais prendre son carnet aussi", "donc là les garçons, j'aimerais que vous arrêtiez de la chercher et de la provoquer").
Certainement mais ce n'est pas ce dont il est question ici. Les invectives se font ouvertement et à voix haute. A moins que "renoncer à l'idée qu'on peut tout contrôler" devienne renoncer à l'idée de contrôler.L'idée de mettre une caméra cachée au fond d'une salle trotte sans doute dans la tête de bcp de collègues. On n'est jamais sûr•e de ce qui se passe quand on tourne la tête ou baisse la tête, même dans une classe "sage". Mais il faut renoncer à l'idée qu'on peut tout contrôler et tout voir.
Un renoncement, comme nous le disions, d'autant plus terrifiant pour les élèves et pour l'école en général qu'il n'est pas le fait d'une gestion maladroite dont tout professeur peut être responsable, mais d'une formation des enseignants et d'une théorisation catastrophique de la gestion de classe dont Véronique Baslé est ici la voix (proche de celle des "Cahiers pédagogiques"), puisqu'elle réfléchir en dehors de toute urgence de gestion de classe.
Véronique Baslé va d'ailleurs plus loin ensuite.
Caricature : il n'est question ici d'aucune "toute-puissance" mais simplement d'être garant du bon fonctionnement du cours et du respect des élèves.Non, même si quand on dit aux élèves de se lever ou de s'asseoir, ils le font sans sourciller - ça m'a toujours épatée et terrifiée dans mes jeunes années. Pourquoi ils/elles m'obéiraient alors qu'ils sont plus de 25 et que rien ne les oblige au fond ? Pourquoi me croire, me faire confiance ? Et si ce que je disais était faux ? Le cadre nous donne l'illusion d'une toute puissance qui ne repose en fait sur...rien.
Être "terrifié" parce que les élèves sont à leur place d'élèves et obéissent par principe, voilà qui en dit long sur une conception de l'autorité en classe et d'un "cadre" récusé, lui, par le professeur progressiste, avec ce questionnement qui plonge dans les abîmes : "Et si ce que je disais était faux ?".
Dans cette digression, Mme Baslé répète des éléments de langage pseudo-pédagogiques théorisant le refus légitime de l'autorité du professeur, qu'elle fonde sur la compétence et sur "la confiance" : elle justifie sans le dire le comportement de l'élève harceleur et l'absence de réaction, censément bienveillante, du professeur.
On comprend qu'exclure un élève qui perturbe le bon fonctionnement de la classe serait ne serait lui vouloir du bien ou ne pas le respecter : que doit alors en penser l'élève harcelée et exclue ici (et ensuite accablée devant la classe en son absence) ?Si ce n'est pas qu'un jeu de poker, c'est parce que l'autorité repose sur la confiance, celle qui fait grandir. Auctoritas c'est la racine de augeo. J'accepte de t'écouter, de t'obéir, de suivre tes consignes parce que je comprends, devine que tu me veux du bien, et que tu m'apportes ton aide, ton expertise, celle qui m'aide à apprendre et grandir. Et parce que tu me respectes, nous respecte.
On note que le bien de la classe ou le respect de l'élève harcelée n'existent pas dans cette conception dévoyée de l'autorité.
Et si indiquer clairement à un élève qu'il ne peut pas harceler au lieu de le laisser faire, c'était l'aider à grandir ?
Aucun doute pour la sincérité et la volonté de bienveillance de notre collègue, qui ne fait que mettre en œuvre ce que le système lui a demandé de mettre en œuvre. Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions : que peut bien penser l'élève harcelée impunément et exclue de classe de la "bienveillance" de sa professeur ? que peuvent bien conclure les harceleurs de cette "bienveillance" qui n'a de conséquence que pour les harcelés ?Alors je ne sais pas ce que cette collègue vaut en tant que prof et je ne me permettrais certainement pas de la juger mais il y a de la bienveillance et de la sincérité dans ses propos. Et cela aussi mérite du respect.
Dans le reportage, il est intéressant d'observer les autres élèves, spectateurs de ce renoncement, certains hilares, d'autres tétanisés.
Mme Baslé dénonce "un traquenard médiatique", comme si la situation exposée dans ces quelques minutes ne pouvaient qu'être inventée ou arrangée pour livrer la collègue au "tribunal de l'opinion".
En effet, elle ne le mérite pas : c'est le système produisant ces situations qui le mérite.
Le propos de Mme Baslé (Sgen-CFDT) se termine par un positionnement politique prétendument de gauche et le refus d'une "pseudo école de l'ordre" (d'autant plus étonnant qu'elle est secrétaire générale d'académie et participe, sous l'autorité du recteur à la mise en œuvre de la politique éducative de l'académie).
On peut parfaitement refuser un ordre réactionnaire voulant faire défiler militairement les élèves ou saluer le drapeau (ou pire : renonçant à l'éducation de tous), et défendre une école où l'ordre des choses serait enfin respecté : les harceleurs empêchés et les harcelés protégés.
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Le journaliste du Point a beaucoup aimé. Mais sans doute n'a-t-il pas vu la séquence décrite ci-dessus. En tout cas, sur Youtube, M6 l'a fait disparaître.
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- Loys
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Dans "Le Monde" (abonnés) du 22/08/24 : "Les préjugés sur les jeunes et l’autorité : « N’est-ce pas une preuve d’intelligence que de questionner une nouvelle règle ? »"
Ce qu'il faudrait entendre par "autorité" n'est jamais défini. Au demeurant, Laelia Benoit parle beaucoup d'école dans cet entretien, mais de très très loin.
On aimerait bien des exemples : l'évolution du système scolaire montre plutôt le contraire, comme on peut le constater sur ce fil...Au lieu d’œuvrer pour avoir des professeurs mieux formés et mieux payés, on fait en sorte que les jeunes les craignent.
Demander une obéissance de principe dans le cadre scolaire relèverait donc de "l'autoritarisme"...Le problème, avec l’autoritarisme, c’est qu’au lieu d’avoir recours à l’autorité uniquement lorsque c’est indispensable, on aimerait que les enfants obéissent au doigt et à l’œil, « parce que c’est comme ça ».
Bonne idée dans un cadre scolaire, en effet !Même le fait pour un enfant de questionner un ordre est mal vu. Pourtant, n’est-ce pas une preuve d’intelligence que de questionner une nouvelle règle ?
On notera l'euphémisme "questionner une règle" pour ne pas la respecter. Les élèves qui ne respectent pas les règles scolaires feraient donc preuve d'intelligence, contrairement à ceux qui les respectent. Retournement sophistique affligeant.
L'article se termine, comme il se doit, en taxant l'école de racisme, et en amalgamant phobie scolaire et non respect de l'autorité scolaire. Le problème de la crise d'autorité est encore ainsi retourné : à l'école, il viendrait de l'autoritarisme et du racisme professeurs.
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