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La réforme de l'orthographe
Alors on me[t] au point une batterie d'étiquettes mal pensées, entièrement dédiées à la graphie. Le complément d'objet direct, par exemple, on ne l'utilise que pour faire ce fameux accord du participe passé avec avoir, ça ne sert qu'à ça.
De toutes les bêtises que Bruc et Tidule ont dites, celle-ci me semble la plus énorme. Quelle formation ont-ils pour s'imaginer que "ce fameux accord du participe passé avec avoir" ne sert qu'à la graphie ? Quand ils parlent, ils n'entendent pas le complément d'objet ? Quand ils parlent, quand ils écoutent, ils n'entendent pas l'accord au féminin du participe passé antéposé : "de toutes les bêtises qu'ils ont dites..." ?
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- Loys
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Quel "puriste" considère "fromage" ou sa formation comme un "barbarisme" ?Les mots « fromage » et « pestacle » sont formés de la même manière : les linguistes appellent cela une « métathèse » et les puristes, un « barbarisme » ! Notre langue en comporte plein comme brebis (du latin berbis), ou encore moustique (du latin musca).
On voit surtout l'implicite d'une telle horizontalisation : la transformation enfantine "pestacle" ne serait pas moins digne que la transformation historique "fromage". On ne doit donc pas rectifier "pestacle".
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- Loys
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www.icem-freinet.fr/archives/educ/76-77/4/orthographe.pdf
Célestin Freinet (in La Méthode naturelle) écrit: L'apprentissage de l'orthographe n'est que secondaire et accessoire et n'a rien à voir avec la perfection de la langue, ni avec la culture. ON peut manier le français avec une maîtrise exemplaire et présenter cependant des insuffisances orthographiques qui scandaliseraient les pédagogues et les simples correcteurs d'imprimerie.
Nous ne posons même pas la question : l'étude de l'orthographe est-elle utile ? Elle est utile dans la mesure où la mode, les instructions ministérielles et les examens l'exigent [...] Quiconque a réfléchi à ce problème ne peut qu'être d'accord pour proclamer cette importance toute relative de l'orthographe.
cf www.icem-freinet.fr/archives/bem/bem-17/bem-17.htm
LA METHODE NATURELLE DE GRAMMAIRE par C.FREINET
Au Sommaire
· Un programme et un plan de travail pour notre Bibliothèque de l'École Moderne.
· C. FREINET. La Méthode naturelle de grammaire.
· ILLUSTRATIONS.
· Un texte libre à la classe enfantine. Photo H. Robic
· Lecture du Texte libre Photo Central CAEN
· Le texte libre au tableau Photo Painchaud
· Recherche de la documentation Photo Painchaud
BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE MODERNE
Périodique d'information de la Pédagogie Freinet.
Paraît 5 fois par an
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Nous avons, à l'intention des enfants, notre beau magazine Bibliothèque de travail qui en,est à son 540e numéro.
Notre revue bimensuelle l'Educateur est notre périodique de recherche pédagogique et de liaison des éducateurs qui travaillent ou désirent travailler avec les Techniques Freinet. Mais le résultat de ces recherches reste disséminé dans des numéros de revues qui ne sont pas destinés à être conservés et où l'on retrouve difficilement,, le moment venu, tous les éléments voulus.
Nous avions besoin, d'une publication périodique qui fasse la synthèse de ces divers travaux, anciens ou nouveaux et qui constitue en définitive comme ne Encyclopédie générale de la pédagogie Freinet.
A vrai dire, nous avions déjà cette encyclopédie générale avant la guerre avec notre publication Brochures d'Education Nouvelle Populaire (BENP) qui nous avait valu la publication de 80 titres qui balayaient à peu près l'éventail de notre pédagogie. Les collections restantes ont malheureusement été détruites au cours de l'incendie de décembre 1961.
Nous avons décidé de reconstituer cette Encyclopédie périodique avec notre nouvelle publication Bibliothèque de l'Ecole Moderne qui paraîtra cinq fois par an sous forme de brochures d'un format plus pratique, toutes axées sur l'étude d'un aspect spécial de notre pédagogie ; une partie générale situera l'étude au sein de la pédagogie générale et de notre Pédagogie Freinet, en apportant toutes informations générales utiles. Cette rubrique de BEM Actualités rendra pour les maîtres les mêmes services que rend BT Actualités pour le magazine enfantin.
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Ce numéro sur la Méthode naturelle de grammaire fera certes une sorte de scandale, tellement reste ancrée dans l'esprit des pédagogues l'idée que rien ne peut se faire en pédagogie si on ne suit le rite des leçons, des règles et des devoirs qui est plus absolu en grammaire que pour les autres disciplines. Cette étude ne convaincra pas définitivement, mais elle jettera du moins le trouble et l'inquiétude dans l'esprit des scolastiques. Les reconsidérations nécessaires suivront.
Les numéros à venir traiteront :
- des techniques audio-visuelles (N° double).
- de la part du maître, par Élise FREINET.
- du Fichier documentaire.
- de lÉcole Maternelle.
Nous publierons également dans cette encyclopédie, en plusieurs livraisons : Naissance d'une pédagogie poputaire, actuellement épuisée, et, par la suite, notre, Essai de pychologie sensible appliquée à l'Education.
La collection de cette revue constituera en définitive l'élément de base de la Pédagogie Freinet.
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On nous a reproché bien souvent de ne parler dans notre publication que de la pédagogie Freinet comme si elle était la seule offerte aux éducateurs, ou si elle était née spontanément d'une expérience particulière indépendante de tous les efforts en découvertes qui l'ont précédée.
Telle n'a jamais été notre pensée. Mais, d'une part, les éducateurs qui nous viennent de l'École Normale sont censés posséder une information de base sur les divers courants pédagogiques, sur les méthodes et les techniques qui leur sont offertes ; d'autre part les conditions toujours très difficiles dans lesquelles nous avons mené notre expérience nous ont à peine permis d'éditer le minimum de ce qui était indispensable pour le progrès de notre entreprise. Alors, effectivement, nous avons parlé dans nos écrits presque exclusivement de nos techniques et de notre psychologie.
Maintenant que nous sommes bien assis, que notre pédagogie a fondé ses éléments essentiels, nous pourrons tenter de la confronter avec ce qui se faisait avant nous et ce qui se fait encore hors de nous. Cette confrontation nous permettra d'ailleurs d'aborder quelques-uns des points essentiels de notre pédagogie, tels que nous nous appliquons à les dégager dans notre revue Techniques de Vie.
Nous pourrons étudier par exemple la pédagogie Decroly, telle qu'elle était du vivant de Decroly, et comment, par quels processus, la méthode Decroly a été bien vite scolastisée. Nous aurons alors l'occasion de rendre à Decroly l'hommage qu'il mérite et de livrer de cette étude des leçons pour notre propre action, car cette même sclérose nous guette et c'est contre elle que nous dirigeons d'avance nos efforts.
Nous aurons à parler aussi de Mme Montessori dont l'apport pédagogique a été si important et si décisif. Un numéro spécial pourrait d'ailleurs être consacré à l'École maternelle française, avec tout ce qu'elle porte en elle de dynamique et d'humain, mais avec aussi des erreurs qu'il nous faudra dénoncer.
Il serait précieux aussi pour l'évolution nécessaire de notre pédagogie de mieux connaître ce qui se fait dans la pédagogie des divers pays du monde :
- L'Allemagne Fédérale, si morcelée administrativement et pédagogiquement aussi, où foisonne des expériences qu'il suffirait parfois de promouvoir à un stade nouveau de réalisation.
- La pédagogie soviétique qui se cherche aussi, avec des initiatives de toute première valeur, dont la portée est, hélas ! compromise par une conception pédagogique et scolaire à reconsidérer.
- La pédagogie italienne qui, par certains côtés, essaie de se hisser à l'avant-garde mais où dominent les pratiques de la scolastique catholique.
- La pédagogie anglaise, que nous ignorons si totalement en France.
- La pédagogie des U.S.A. qui, sous le couvert du machinisme et de la mécanique reste impuissante à résoudre les vrais problèmes humains.
- La pédagogie de l'Amérique latine, avec ses îlots d'avant-garde à Cuba et au Mexique, mais dont la solution s'adapte aux espaces immenses de pays qui semblent parfois naître seulement à la civilisation du XXe siècle.
- La pédagogie de l’Afrique : Afrique du Nord, déjà sérieusement marquée par nos techniques, et pédagogie aussi de l'Afrique Noire pour laquelle nos méthodes pourraient peut-être apporter les méthodes vainement attendues de la pédagogie scolastique française.
Comme on le voit, nous avons du pain sur la planche.
Pour le domaine technique, nous avons mis aujourd'hui à la disposition des enfants et des maîtres un éventail large et riche de matériel et de techniques qui leur permet, dans la pratique, de s'engager dans une pédagogie plus efficiente.
Il nous faut faire le même effort culturel pour les adultes. Un éducateur d'École Moderne ne doit pas avoir des oeillères Pour une pédagogie largement ouverte sur la vie il lui faut une large information psychologique, philosophique, sociale, pédagogique, sur tous les problèmes que suppose le renouveau pédagogique que nous avons suscité : notre périodique BEM vous ouvrira lui aussi les Portes du monde.
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C.FREINET
La méthode Naturelle de Grammaire
Si la grammaire était inutile !
Tel a été le mot d'ordre que je lançais il y a une vingtaine d'années. Et aujourd'hui encore, il suffit que je hasarde cette affirmation dans une Conférence pour que le public s'agite comme si j'avais commis un blasphème : les instituteurs se regardent, ils tournent leurs yeux ironiques ou timides vers les chefs présents, parfois auteurs de manuels de grammaire, comme pour leur dire : « Qu'en pensez-vous ? »
D'ailleurs les instituteurs eux-mêmes sont rarement d'accord. Que je dénonce les devoirs et les leçons, oui, mais penser qu'on puisse apprendre à écrire sans exercices de grammaire, cela dépasse l'entendement ; car enfin, ne faut-il pas connaître les règles de grammaire pour écrire correctement ?
Je vais encore une fois ici refaire la démonstration simple, sans grande illusion. Il en est de la grammaire comme des vieilles traditions trop enracinées dans la jeune vie des individus et qui disparaissent parfois momentanément pour reparaître plus tard en folklore.
Il est pourtant des vérités que nous avons le devoir de proclamer quand nous les tenons comme telles. Et les vérités, comme la liberté, cheminent immanquablement jusqu'à éclater un jour dans le comportement libérateur des hommes et des sociétés.
Dès octobre 1937 dans une brochure « La Grammaire française en quatre pages », j'écrivais déjà en préface :
« Ce n'est pas une gageure ; nous n'avons fait aucun pari de condenser en quatre pages - peut-être sera-ce même en trois - le contenu de tous les manuels de grammaire. Notre entreprise est d'une portée pédagogique autrement considérable puisqu'elle vise à simplifier vraiment notre expérience pratique de la langue grâce aux techniques nouvelles que nous avons introduites dans nos classes.
« Personnellement, je ne suis pas grammairien, loin de là ! L'avouerai-je même : lorsque, après la guerre (de 14-18), je repris, à demi-convalescent, une classe préparatoire, je constatai avec un peu de surprise que j'avais presque totalement oublié toutes les règles de grammaire. C'est à peine si je distinguais encore dans les temps quelques formes simples : l'indicatif présent, l'imparfait, le futur, le conditionnel. Je ne savais plus si le passé simple devait s'appeler passé défini - je me le demande encore en écrivant ces lignes - et la chaîne bijou, caillou, chou... revenait pénible ment à ma mémoire.
« Ne parlons pas de toute la foule de pronoms, d'adjectifs, d'adverbes, de prépositions, etc... dont je savais évidemment l'emploi sans pouvoir les distinguer avec précision. Et pourtant je venais d'écrire un petit livre qui ne manquait pas d'émotion, et je savais, d'une plume assez vive, défendre mes droits, ou écrire pour mes élèves des contes et des poésies que, à ma grande surprise, ils préféraient aux œuvres classiques qui leur étaient alors offertes.
« Je ne me suis pas ému de mon ignorance. Je savais écrire d'une façon convenable. Je sentais que c'était là l'essentiel, que tout le reste, que toutes ces chinoiseries grammaticales étaient surtout inventions scolastiques et que si moi, qui avais eu jusqu'à 18 ans, le crâne bourré par maîtres et manuels, pouvais, sans grand dommage - et qui sait, peut-être avec profit - oublier les neuf dixièmes de la grammaire, c'est que celle-ci, telle du moins qu'on me l'avait enseignée, n'était ni vitale ni indispensable, et que la voie suivie jusqu'à ce jour ne répondait pas aux besoins d'élèves qui, dans la vie, n'ont que faire de terminologie.
« Je n'ai, depuis, tenté aucun effort pour apprendre à nouveau cette grammaire des manuels. Et je me hâte de condenser ici, avant qu'il ne soit trop tard, ce que je crois suffisant et profitable pour notre école primaire.
Car la déformation professionnelle nous marque dangereusement : à force de revoir tous les ans les mêmes principes, les mêmes règles avec leurs exceptions, nous les incorporons à notre fonction et à notre vie, jusqu'à ne plus comprendre que ceux dont la profession n'est pas de rabâcher ces éléments puissent avec tant de désinvolture en négliger complètement la contestable valeur.
« N'écoutons point ceux qui prétendent qu'on ne peut écrire tant qu'on ne connaît pas les règles de la grammaire et de la syntaxe... Les pédagogues n'ont vu que la règle, et la règle a tué la vie.
« Ils écrivent bien, certes, ces grammairiens pour qui écrire est une sorte de devoir de style où la forme masque l'absence de pensée et de sentiment. Mais qui lit leurs œuvres ? Et pensez-vous que ce sont elles qui passeront à la postérité ou bien plutôt les pages vibrantes d'émotion et de vie de ces jeunes écrivains qui, sans se soucier outre mesure de la grammaire, ont su exprimer ce qui vous agite ou vous remue ? Je pense à tel écrivain à succès, avec ses phrases osées et ses mots à peine francisés... On dira plus tard, comme nos professeurs en arrêt devant des tournures peu académiques de nos classiques : hardiesse de style ! Parce que la vie aura triomphé de la forme morte comme triomphera un jour prochain, à l’Ecole, la rédaction vivante et joyeuse, chemin royal qui mène vers la perfection grammaticale.
« Toutes ces précautions pour bien prévenir nos camarades - et aussi les spécialistes qui nous liront - que je suis loin de prétendre à l'érudition grammaticale. Je puis commettre des oublis qui méritent d'être réparés, et des erreurs que je rectifierai avec plaisir, heureux justement si ces lignes peuvent susciter encore une fois entre nos camarades une collaboration profitable. » (1)
(1) Un instituteur qui fut en son temps à l'avant-garde de la pédagogie française, DELAUNAY (Calvados), faisait des réflexions identiques : « Je suis une nullité grammaticale. je serais fort embarrassé pour répondre à des questions de grammaire du C.E.P. Il y a de cela de nombreuses années, j'avais découpé, dans des journaux scolaires des épreuves de dictée. Lorsque je les classai, je constatai que les spécialistes de ces revues n'étaient pas toujours d'accord. Pour moi, la grammaire est une science qui se fait, encore bien imparfaite. S'il n'y avait pas la nomenclature officielle, il nous serait difficile de nous reconnaître. »
Si la grammaire était inutile !
Entendons-nous bien d'abord sur la portée de notre pétition.
Nous ne prétendons point que l'étude de la grammaire soit absolument inutile à tous les degrés de l'enseignement. Nous parlons naturellement en instituteurs qui se préoccupent d'améliorer les conditions et le rendement de leur métier. Nous ne préjugeons pas de ce que peut être ou doit être, l'enseignement du français à d'autres degrés où la grammaire reprend peut-être, et sans doute, quelques-uns de ses droits.
NOTRE EXPÉRIENCE, AUJOURD'HUI LONGUE ET DÉCISIVE, MONTRE SEULEMENT QU'ON PEUT APPRENDRE A ÉCRIRE LE FRANÇAIS A LA PERFECTION SANS CONNAITRE LES RÈGLES DE GRAMMAIRE. SI CELA EST VRAI - ET C'EST LA DÉMONSTRATION QUE NOUS ALLONS FAIRE ICI - L'ECOLE S’EST TROMPÉE DE CHEMIN EN PLAÇANT LES RÈGLES DE GRAMMAIRE A LA BASE DE L'ÉTUDE SCOLAIRE DU FRANÇAIS. IL NOUS FAUT CHERCHER ENSEMBLE, TROUVER ET VULGARISER LES NORMES DU NOUVEL ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS, PAR LA MÉTHODE NATURELLE D'INTELLIGENCE ET D'EFFICACITÉ.
Comme on le voit l'affaire est d'importance. Elle intéresse et conditionne tous les processus présents et à venir de l'éducation.
La grammaire est-elle utile pour l'apprentissage de l'orthographe ?
Pour la régularité de notre démonstration, il nous faut, dès l'abord, distinguer grammaire et orthographe qui sont, dans l'esprit des lecteurs, trop arbitrairement confondus.
Réglons d'abord son fait à l'apprentissage de l'orthographe qu'on considère aujourd'hui, plus encore que par le passé, comme une nécessité dramatique, non pas tant pour la culture, dont on se préoccupe d'ailleurs fort peu, que pour les classements scolaires et les examens qui n'en sont que les ersatz.
GRAMMAIRE et ORTHOGRAPHE sont deux choses radicalement différentes. La grammaire française nous enseigne les règles d'une expression écrite en français, correct, conforme à l'expression des idées, des sentiments et des faits d'information aux exigences de l'usage, des codes plus ou moins capricieux, des Instructions Ministérielles et des examens. C'est de cette grammaire, et seulement de celle-là dont nous dénonçons l'inutilité, dans l'enseignement du premier degré.
L'apprentissage de l'orthographe, dont on fait aujourd'hui tant de cas, n'est que secondaire et accessoire et n'a rien à voir ni avec la perfection de la langue, ni avec la culture. On peut - et c'est le cas de nombreux écrivains - manier le français avec une maîtrise exemplaire et présenter cependant des insuffisances orthographiques qui scandaliseraient les pédagogues et les simples correcteurs d'imprimerie.
Nous ne posons même pas la question - l'étude de l'orthographe est-elle utile ? Elle est utile dans la mesure où la mode, les instructions ministérielles et les examens l'exigent. Mais que changent demain comme nous le souhaitons ces exigences formelles ; qu'aboutissent les travaux de la commission officielle de la Réforme de l'orthographe, et le problème scolaire de l'orthographe perdra de son acuité, jusqu'à ne plus contrarier l'apprentissage naturel et normal de la langue. Quiconque a réfléchi à ce problème ne peut qu’être d'accord pour proclamer cette importance toute relative de l'orthographe.
C'est Anatole France qui disait : « Les grands classiques de Corneille à Voltaire, et le roi Louis XIV lui-même ne mettaient pas l'orthographe... La recherche de l'orthographe constitue pour l'enfant une perte de temps considérable et contribue à restreindre le développement de la connaissance humaine. »
« Il fut un temps, écrivait aussi E. Tribouillois dans son livre : APPRENONS L'ORTHOGRAPHE (Editions Delagrave - Paris), où l'orthographe des mots de notre langue, tout nouvellement fixée par l'Académie que venait de fonder Richelieu, et pour beaucoup encore incertaine, permettait à notre grande épistolière, Madame de Sévigné, et aux Précieuses, ses contemporaines, d'émailler leurs lettres de fautes qui nous paraissent aujourd'hui invraisemblables. Au siècle suivant encore, le vainqueur de Fontenoy, Maréchal de France, pouvait écrire sans en être diminué : « ILS VEULE ME FAIRE DE LA CADEMIE ; CELA MIRET COMME UNE BAGUE A UN CHAS ».
Marcel Cohen constate lui aussi – « Quelqu'un, je ne Sais qui, a dit il y a déjà un bout de temps : « LA GRAMMAIRE (FRANÇAISE) EST L'ART D'APPLIQUER L'ORTHOGRAPHE DE L'ACADÉMIE ». Or, comme cette orthographe est mauvaise et que, si on est obligé de la subir, il ne faut à aucun prix la justifier, la grammaire ainsi comprise est simplement à supprimer. »
Dans son « HISTOIRE D'UNE LANGUE : LE FRANÇAIS », Marcel Cohen écrit encore :
« L'orthographe académique a résisté à tous les essais de réforme. En matière de langue, c'est le donjon du conservatisme social.
« La question demeure, petite mais importante question sociale. Les enfants du peuple, disposant d'un temps moins long pour l'instruction, ayant moins de temps pour lire, et moins de livres à leur disposition que les enfants riches, sont proportionnellement plus encombrés par l'apprentissage de l'orthographe; leur instruction générale en est réduite d'autant ; l'orthographe est vraiment le cauchemar des instituteurs. C'est aussi une plaie pour tous ceux qui doivent obtenir par un examen un emploi, même modeste, public ou privé et qui doivent gagner leur vie comme dactylographe par exemple. »
Décortiquons donc quelque peu ce problème de l'orthographe. L'apprentissage traditionnel est basé sur cette croyance que les règles - et elles seules - enseignent l'orthographe. Or, l'écriture française n'est pas logique du tout ; les règles n'y sont employées qu'au hasard, et encore avec tellement d'exceptions qu'elles perdent leur caractère élémentaire de règles.
Dans le livre déjà cité : « APPRENONS L'ORTHOGRAPHE », E. Tribouillois donne cette appréciation sur l'orthographe d'usage :
« Moi, professeur, moi, professeur de français, moi, écrivain, moi, académicien, qu'est-ce qui me gêne ?... Les doubles lettres et les mots tirés du grec. Les doubles lettres toujours ou presque toujours : je sais écrire ACCABLEMENT, oui. mais j'hésite encore sur APERCEVOIR et sur AGRESSIF.
Si moi je suis dans cet embarras, je dois conclure que les « primaires » y seront toujours. »
Ainsi s'exprimait Emile Faguet, et l'on ne peut nier qu'il eût raison. Les « primaires »... et les autres ont fort à faire avec notre orthographe où se rencontrent toutes sortes de complications introduites comme à plaisir, des marques d'érudition sans valeur, des erreurs maintes fois constatées, des chinoiseries.
Et tout cela sous prétexte d'étymologie, de laisser aux mots leur marque d'origine.
Passe encore si c'était logique, et si c'était vrai. Mais ce n'est pas logique - on écrit d'un côté préfet et effet, et, de l'autre parfait et satisfait, alors que ces quatre mots ont la même étymologie.
Et ce n’est pas vrai : ce ne sont pas des savants usant du privilège que leur donnait leur autorité, ce sont des clercs à demi-ignorants qui, voulant faire étalage de leur prétendue science, furent cause qu’au XVe et au XVIe siècle vinrent de toutes parts, s'abattre sur notre orthographe des groupes de consonnes que le Moyen-Age avait sagement ignorées.
« L'orthographe a chez nous le caractère et la force d'une religion » constatait également F. Brunot.
Il faudrait que nous soyions bien d'accord sur ce point : la langue française n'est pas construite logiquement, sur la base de règles et de principes, mais selon les caprices de l'usage des anciens « écrivains » et des clercs.
S'IL EN EST AINSI, CE NE SAURAIT ÊTRE PAR L'ÉTUDE DES RÈGLES ET PRINCIPES QUE SE FERA L'APPRENTISSAGE DE L'ORTHOGRAPHE.
LE TATONNEMENT EXPÉRIMENTAL
Mais il y a une autre raison qui s'inscrit contre l'apprentissage traditionnel de l'orthographe : la langue écrite, tout comme la langue parlée ne se fait que par tâtonnement expérimental. Personne ne fait appel à la règle dans l'apprentissage de l'orthographe. Et si, par suite du conditionnement scolaire quelques enfants y ont recours, ils emploient la plupart du temps la règle à contresens. Il est patent que l'enfant écrivant une dictée par exemple, ne fait jamais appel à la règle qu'on lui a apprise : il écrit sur son brouillon les formes diverses possibles, et, au jugé, selon son expérience, il écrit le mot demandé. C'est le plus pur tâtonnement expérimental qui agit par ajustements complexes, visuels, graphiques, et comme physiologiques.
Ce n'est peut-être pas scientifique mais c'est le procédé le plus sûr universellement employé.
Il serait facile de mener des enquêtes susceptibles de vérifier la valeur de ce processus orthographique général. Nous pourrions notamment nous demander si les élèves qui ont la meilleure orthographe sont ceux qui connaissent le mieux les règles ou si, comme nous le croyons il n'y a aucune relation entre ces deux faits. Nos lecteurs jugeront déjà par leur propre expérience.
Tout au long de cette étude nous aurons à faire la démonstration qu'une pédagogie soi-disant scientifique se condamne elle-même en partant toujours de données erronées et de processus qui n'existent que dans l'esprit des scoliastes - ce qui la rend si totalement désarmée devant le problème de la dyslexie, considéré aujourd'hui comme une maladie incurable, au même titre que la leucémie et le cancer.
La réalité c'est que étude des règles et orthographe sont deux choses absolument distinctes. Les exemples abondent d'enfants qui connaissent par coeur toute leur grammaire, qui sont capables de répondre à la perfection aux questions de la dictée du C.E.P. et qui n'en ont pas moins une orthographe déplorable.
Il y a donc erreur de diagnostic. A nous de chercher les vraies solutions.
N'en déplaise à tous les spécialistes, théoriciens et praticiens, l'écriture, comme le langage n'est pas une mécanique qu'on monte systématiquement. Elle est une portion de vie. Les mots y prennent d'abord leur figure non d'après l'étymologie ou les règles forgées arbitrairement par les pédagogues, mais d'après leur emploi dans la phrase, leur sens pour ainsi dire dialectique, leurs résonances réciproques, les liaisons qui s'établissent entre les éléments de pensée et d'action. C'est parce que, dans l'apprentissage du langage les mots sont toujours chargés de pensée et de vie et que les mécanismes ne fonctionnent jamais à vide que la réussite y est si totale, sans aucun des drames qui accompagnent à l'Ecole la langue écrite.
Or, l'orthographe, c'est comme l'habit des mots. La contexture, les particularités de ces mots s'inscrivent dans notre esprit et dans notre comportement non point par logique et mémoire, mais par des voies exclusivement sensibles, par les photographies successives dont la netteté indélébile est seulement fonction de la sensibilité des organes qui les enregistrent, de l'éclairage particulier que nous projetons sur les éléments à inscrire sur la plaque sensible.
On s'obstine à enseigner aux enfants les caractéristiques des mots comme on leur apprendrait à reconnaître les personnes familières par le simple détail des habits dont on les affuble : veste noire, pantalon gris et cravate à pois. Or, ce n'est jamais par ces seuls détails que l'enfant reconnaît un individu, ou bien il risquerait de graves méprises, confondant culottes et vestes, ou cravate et chapeau et les plaçant indifféremment sur les individus à distinguer.
Non, le mécanisme de la reconnaissance ne fonctionne jamais ainsi, de cette façon simpliste. Il est beaucoup plus complexe, beaucoup plus sensible, mais aussi d'une toute autre sûreté. L enfant voit venir une ombre, et, sans seulement s’attarder à identifier pantalon ou cravate, il dit avec certitude : « Voilà mon papa ! ». Il n'a ni analysé ni répété ; il n'a même pas prêté attention au sens où l'entend l'Ecole : un coup d'oeil rapide a suffi. Il est sûr et définitif.
C'est une telle erreur dans la conception des mécanismes de fonctionnement dans l'écriture et la lecture qui suscite cette mystérieuse dyslexie, mal scolaire du siècle. Les mots que vous apprenez à vos enfants sont neutres ; ils ne sont acceptés que par la mémoire ou l'intelligence et, de ce fait, ne touchent pas les individus dans leurs fonctions vitales. Alors on les habille au hasard, confondant culottes et cravates. Cela a si peu d'importance ! Mais l'habitude sera prise. Vous ne rétablirez plus les circuits normaux.
Les spécialistes en mal de solution essaient d'expliquer cette maladie dyslexique par la gaucherie contrariée, par une déficience de la conception spatiale, voire par la méthode globale « cette galeuse ». Ils n'oublient que l'essentiel : c'est le mode d'acquisition de l'écriture des mots qui est à changer, ce sont les principes d'acquisition qui sont à reconsidérer. C'est la méthode scolastique qu'il faut remplacer par la méthode naturelle qui donne vie aux mots et aux phrases et les incorpore aux processus organiques du comportement indélébile des individus.
Dans le domaine scolaire comme dans le domaine de la santé, il ne suffit pas de soigner les impotents et les malades. Il faut prévenir les erreurs de base qui produisent les déséquilibres et retrouver les lois sûres de la vie.
***
Le procès des conditions traditionnelles d'apprentissage de l'orthographe, n'est certes pas terminé par ce premier aperçu. Nous avons considéré surtout ici les mots dans ce qu'on appelle l'orthographe d'usage. Nous examinerons les aléas de l'orthographe d'accord au cours du procès que nous allons commencer de la vraie grammaire qui détermine la forme même des mots variables au sein de la phrase.
Il nous resterait à condamner les exercices systématiques de mémoire et de par coeur qui prétendent assurer une pratique normale de l'orthographe par la seule vertu de la répétition, du conditionnement, dit-on aujourd'hui pour parler scientifiquement avec un air trompeur de modernisme. La scolastique à l’Ecole primaire en est farcie à tel point qu'on se demande comment on tuerait le temps dans les classes si on supprimait tous ces « exercices », qui remplissent tant de pages de nos manuels de grammaire. Le livre de E. TRIBOUILLOIS dont nous avons déjà parlé (Apprenons l'orthographe) en est un exemple. Il y a là des pages à retenir, non seulement avec les règles, mais, ce qui trouble encore plus les enfants, avec les exceptions qui contredisent les règles.
Alors on compte sur la mécanique. Elle est peut-être valable pour une minorité d'enfants à la mémoire fidèle. Et encore, ceux-là n'ont pas même besoin de répétitions puisqu'ils saisissent du premier coup. Et les autres, ceux qui doivent répéter, le font avec tant de peine qu'ils en sont bien vite excédés - ce qui détruit d'avance toutes les vertus de la répétition. Il n'y a qu'à voir le mal qu’a la masse des enfants pour l'étude par coeur de la table de multiplication.
Nous sommes là dans le domaine de la mnémonique et non dans celui de la grammaire. Qu'on y ait recours quand on ne dispose pas d'autre solution valable, passe encore. Mais qu'on le fasse alors sans illusion ni pour le rendement ni pour la formation. Il s'agit seulement d'un travail de robot qui ne sera jamais qu'un pis-aller.
***
Et pourtant nous dit-on, puisque la rectitude orthographique est aujourd'hui exigée à l'Ecole et dans les examens, il nous faut bien nous y soumettre.
Mais il faut que nous redisions à l'intention des éducateurs et des responsables la vanité de semblables procédés et l'illogisme donc d'une pédagogie qui a comme suprême ressource d'y avoir recours.
Sauf, en effet, pour quelques exceptions d'enfants particulièrement doués et qui ne nous posent ordinairement aucun problème, tout exercice scolastique, c'est-à-dire qui n'est pas profondément motivé, et que l'enfant exécute comme un devoir sans but, est toujours inutile et donc dangereux. Il n'y a qu'à voir nos enfants faire les exercices des manuels. On leur a donné une longue liste de mots mis au pluriel. Ils commencent à les écrire correctement, puis l'automatisme reprend ses droits et la fin de l'exercice est criblé de fautes. Ou bien ils conjuguent un verbe en opérant en série, de haut en bas - je, tu, il... etc..., et en mettant les terminaisons à la fin, également en série.
Croit-on vraiment qu'un tel travail puisse avoir une portée véritable d'exercice. ? Et si même l'enfant, grâce à votre surveillance, conjugue son verbe sans faute, est-on bien sûr que cet exercice lui soit de quelque utilité, qu'il soit au moins inscrit dans son automatisme et lui soit, de ce fait, profitable ?
Nous citons souvent le cas, hélas ! pas unique, de ce candidat au C.E.P. qui ne pouvait pas se corriger de la faute assez courante dans certaines régions de France
« J'ai parti », au lieu de « Je suis parti ».
Désespéré, le maître lui donna un soir à conjuguer cent fois le verbe partir, au passé composé, et s'en alla à sa partie de pêche. Quand il retourna, un peu tard, il est vrai, la classe était vide. Mais l'élève avait écrit spontanément au tableau : « Monsieur, comme j'avais fini ma punition et que vous n'étiez pas rentré, J'AI PARTI ! »
Il ne s'agit pas là, hélas ! d'une boutade mais de l'exemple typique de la portée des exercices qui ne sont qu'exercices.
Non, bien que nous considérions que la grammaire orthographique est inutile, nous n'oublions pas que, en attendant mieux, nous devons satisfaire aux exigences de l'administration et des parents. Mais nous le ferons avec le moins de dommages possibles, avec un maximum d'intelligence et d'efficacité. Et nous verrons comment nous pourrons y réussir par notre formule de l'Ecole de travail, où il y aura pour tous les individus - en parodiant une formule sociale éloquente - du pain et des roses.
***
Si la grammaire était inutile pour l'apprentissage du français
L'aspect orthographique de l'enseignement de la langue, n'est donc, nous l'avons vu, qu'une considération mineure, quelle que soit l'importance sans cesse exagérée qu'on tend à lui accorder.
Autrement déterminante est la question de la Grammaire, élément jugé indispensable de la connaissance et de la pratique de la langue.
Il ne suffit plus de savoir si on sera capable d'écrire sans faute - ce qui n'a, répétons-le, qu'une valeur toute contingente plus spécifiquement scolaire. Mais savoir s'exprimer, non seulement correctement, mais avec élégance et sentiment, être en mesure de manier la langue avec adresse et habileté, savoir démontrer, convaincre, émouvoir, c'est une toute autre affaire, qui conditionne largement à notre époque notre comportement et notre vie.
C'est donc très important pour nous de déterminer avec sûreté la méthode pour y parvenir. La méthode traditionnelle a ostensiblement fait faillite. Nous sommes à la recherche d'une méthode plus efficiente.
Comme pour la grammaire orthographique, c'est le point de départ de l'enseignement grammatical qui est erroné. Seulement cette erreur, les psychologues et les pédagogues contemporains ne veulent pas la reconnaître parce que cette reconnaissance signifierait l'écroulement de tout le château de cartes scolastique de l'apprentissage.
Dans un récent « Billet » de la revue l'EDUCATION NATIONALE, M. Pierre-Bernard MARQUET résume ainsi les « Bases » de la Scolastique :
« Peut-on écrire bien en méprisant la grammaire, la ponctuation et l'élémentaire rhétorique ?...
« Peut-on être un grand peintre sans savoir dessiner ?
« Peut-on composer de la vraie et bonne musique sans connaître la gamme ni l'harmonie ?... »
La façon même dont ces questions sont posées sous-entend que la réponse ne fait pas de doute. Nous seuls doutons. Mieux : nous sommes, expérimentalement, persuadés du contraire.
C'est L'ECOLE, à tous les degrés, qui a inventé, pour s'attribuer originalité et importance, un processus d'acquisition et de vie qui n'a cours qu'à l’Ecole et jamais dans la vie.
L'Ecole s'imagine volontiers que la pensée, et l'expression de cette pensée peuvent se monter et se construire comme se monte une machine par adjonction et agencement des pièces, préparées d'avance, qui la composent. Si cela était, le premier stade des acquisitions linguistiques serait évidemment la connaissance parfaite des règles et principes sans lesquels la mécanique ne saurait pas fonctionner. C'est évidemment logique.
Et les scoliastes s'en sont persuadés et en ont persuadé leurs élèves. Enfermés dans leur système en dehors de la vie, ils ont négligé, pour si paradoxal que cela soit, de considérer la pratique même de leur vie et de celle de leur famille où ne sont jamais appliqués les principes scolaires. Le professeur, mère de famille monte chez ses étudiants la mécanique scolastique, mais elle emploie exclusivement la méthode naturelle avec son enfant qui apprend à parler et à marcher. Et le professeur, possesseur d'une auto, a appris à conduire comme tout le monde, et conduit exclusivement aussi par tâtonnement expérimental, selon la méthode naturelle souveraine.
Cela vient sans doute du fait que les méfaits de la méthode scolastique sont plus ou moins compensés par la méthode naturelle ambiante dont bénéficie l'Ecole, à l'insu des professeurs.
Ils prétendent - et ils vous en feraient l'éloquente démonstration - enseigner aux enfants à rouler à bicyclette selon ces mêmes principes pseudo-scientifiques. Le processus en est bien réglé, comme le sont tous les travaux scolaires, et la progression indispensable détaillée dans les manuels. Il faut commencer par le commencement, décrire d'abord les pièces de la machine, expliquer avec schéma, le sens du mécanisme et l'action des pédales, puis la physiologie de l'équilibre et de la direction. (N'oublions pas que les scientifiques ont nié la possibilité de tenir en équilibre sur deux roues tant que les bicyclettes, malgré eux, ne se sont pas mises à rouler).
A ce moment-là, si le professeur, à demi-conscient de l'insuffisance, dans la pratique de son enseignement théorique, veut quelque peu moderniser son enseignement, il introduira à l'Ecole - si les règlements l'y autorisent - un vélo véritable. Evidemment pas pour rouler dans les couloirs, bien sûr. Ce vélo on le mettra prudemment sur cale et les élèves à tour de rôle viendront y faire leurs exercices pratiques, réglés méthodiquement, en suivant jalousement une indispensable progression.
Et quand le cours sera fini, les enfants seront censés savoir rouler à bicyclette. On les lâchera alors dans la vie.
Et, ô miracle ! les enfants roulent à la perfection sur leur vélo, bien mieux certes que leur professeur. Pour celui-ci donc succès complet. Méthode efficace à 100%.
Or, tout le monde sait bien que si on avait lâché des élèves munis de leur seul viatique scolastique, ils auraient bien vite roulé dans le fossé ou tamponné le premier véhicule venu. Que s'est-il donc passé ?
L'enfant qui avait subi les explications du professeur voyait, à la sortie, un vélo inutilisé au bord d'un trottoir. Et là, oubliant totalement les inutiles enseignements du maître, il commençait son apprentissage exclusivement par tâtonnement expérimental : il enfourchait le vélo, non sans avoir repéré un fossé herbu où il irait s'échouer, car c'est ainsi que commence sous tous les cieux et avec tous les enfants du monde, le premier apprentissage de la marche à vélo.
L'enfant se relève, se gratte un peu si nécessaire, inspecte son vélo, puis retourne au sommet de la montée pour reprendre son exercice et aller s'échouer plusieurs mètres plus loin. Quelques exercices semblables encore et il saura marcher à vélo, sans connaître ni la mécanique, ni l'action des pédales, ni les principes majeurs de l'équilibre. Heureusement pour lui car s'il avait troublé son tâtonnement expérimental par des considérations théoriques, il aurait échoué immanquablement. Tout le monde sait en effet qu'on ne tient son équilibre au début qu'à condition de ne pas y penser et qu'on perd sûrement la direction si on fixe les pédales ou le guidon.
Mais comme le professeur n'est pas témoin de cet exercice clandestin, il s'attribue volontiers le bénéfice de la maîtrise que son enseignement a valu à ses élèves et qui constitue effectivement une réussite à 100%
Il en est de même pour le français, pour les sciences, pour le calcul et pour l’Art.
LA MARQUE DE LA SCOLASTIQUE
Nous ne disons pas que la spontanéité peut tout, et qu'il suffit qu'on donne un pinceau à un enfant pour qu'il produise un chef-d'oeuvre Cette spontanéité, elle est à replacer dans le cadre du processus général et universel du tâtonnement expérimental, à même le milieu et la vie. Toujours est-il que, par la méthode naturelle l'enfant se réalise avec une richesse, une subtilité et un allant créateur sans lesquels il ne saurait y avoir oeuvre d'art.
Au lieu de considérer, comme le fait la scolastique, que l'enfant ne sait rien - ce qui est évidemment faux - et qu'il appartient à l'éducateur de tout lui apprendre - ce qui est prétentieux et irréalisable - nous partons, pour notre enseignement des tendances naturelles, chez tout individu sain, à l'action, à la création, à l'amour du beau, au besoin de s'exprimer et de s'extérioriser..
Nous aidons l'individu à se réaliser et à affiner, par l'action, son sens artistique latent. Tout comme, par les mêmes procédés naturels - ceux qu'emploie la maman - nous préservons en lui et cultivons son sens littéraire, poétique, scientifique, mathématique ; et par ce biais, nous allons toujours plus haut et plus loin que ne le fait la scolastique.
Mais que l'Ecole se saisisse de cet enfant de sept ans qui s'exprime en peinture et en dessin avec la même impétuosité qui le fait triompher du vélo ; qu'elle arrête autoritairement le torrent que nous avions mis en branle pour le couler arbitrairement dans le processus traditionnel de la leçon et de la copie et instantanément, en tous cas dans l'espace de quelques jours, la flamine que nous avions allumée vacille et s'éteint ; la fleur prête à s'épanouir se fane et se dessèche.
Il arrive, dans notre pays de Provence qu'un certain nuage venu de la mer et chargé de miasmes et de sel passe, un matin, sur les pommes de terre en fleurs ou sur les boutures d'anémones ou d'oeillets En quelques heures la verdure est grillée comme par un incendie définitif.
Tel est le sort des enfants qu'a prématurément marqués la scolastique. Ils ne savent plus ni dessiner ni peindre ; ils n'ont plus d'idée et attendent passivement que le maître ou le livre leur apportent la becquée. L'élan est éteint.
Il est certes quelques individus privilégiés qui s'accommodent plus ou moins de cette limitation et réussissent malgré la scolastique, ce qui induit en erreur ceux qui la pratiquent. Mais la grande masse des écoliers d'aujourd'hui en sont irrémédiablement marqués, à moins que par un sursaut de défense de leur être, ils s'organisent contre, ou sans l'Ecole, jusqu'à en avoir une irréductible allergie.
Certaines formes d'opposition scolaire, le refus d'étudier, la crainte et la peur de l'Ecole, et tous les multiples aspects de la dyslexie ont comme cause essentielle cette erreur de méthode qui contrarie et anéantit la vie.
Je sais bien que, lisant cela, les éducateurs penseront que je dramatise sans raison puisque les choses ne se passent que rarement ainsi dans leurs classes. S'ils ne mesurent pas les dommages profonds que les méthodes traditionnelles causent à la vie active des enfants, c'est que le milieu corrige leurs erreurs. Il les corrigeait d'une façon presque radicale à l’Ecole de village de naguère où l'enfant participait au travail des champs, dans une atmosphère essentiellement bénéfique. Ce correctif n'existe plus qu'exceptionnellement: dans les villes tentaculaires, dans les zones déshéritées des H.L.M. et des grands ensembles. Et c'est sans doute une des raisons qui rendent plus sensibles et plus impérieux les problèmes complexes qui s'imposent de nos jours aux pouvoirs publics et aux parents d'élèves.
Il serait souhaitable que, pour notre commun enseignement, puisse être menée l'expérience intégrale qui livrerait quelques enfants, de leur naissance à la puberté, à des éducateurs qui les traiteraient exclusivement selon leurs méthodes soi-disant scientifiques.
Nous ne nous avançons pas en prédisant que les enfants qui seraient soumis à cette expérience monstrueuse seraient incapables de réagir aux impératifs de la vie.
Telle serait la faillite de l'Ecole.
J'exagère ?
Cette expérience a été pourtant menée pendant de nombreuses années dans les pays colonisés soumis à l'alphabétisation.
Là, les enfants ne connaissent rien de notre langue. L'éducateur les prend à l'état pur, pourrions-nous dire. Voyons ce que donne la méthode :
Pour ne pas être suspecté de parti-pris, nous donnerons ici le témoignage, à notre avis irrécusable, de M. THABAULT, Directeur, à l'époque, de l'Enseignement au Maroc.
« Dans une école marocaine, créée par l'Alliance Israélite universelle, les instituteurs appliquent les programmes et les horaires français, se servent des manuels publiés à Paris pour les petits Français, et enseignent naturellement la grammaire traditionnelle.
« A la fin de la première année scolaire, gros succès 50 élèves sur 60 savent lire couramment. Mais hélas ! ils ne comprennent pas ce qu'ils disent.
« Le résultat, le voici : Au C.E.P.E., un élève de 15 ans écrivait le texte suivant :
Ma première cigarette !
« FUMER UNE CIGARETTE ; JE ME DÉSIRE DANS MES LÈVRES ; ASPIRER, EXHALER, CELA ME FAIT GRANDIR, MES YEUX ET LES LÈVRES DE MES CAMARADES.
UN JOUR, EN SORTANT DE MA MAISON, UN DE MES COUSINS M'OFFRIT UNE CIGARETTE, ALLUMER, TIRER APRÈS, UN INSTANT SURPRIS, M'ACRETÉ LA BOUCHE, MES YEUX PAPILLOTENT, MA TÊTE CHAVIRÉE, DES COUPS DE SUEUR SE COULENT SUR MON FRONT ET JE FAIS DES EFFORTS POUR VERNIR. MON PÈRE M'A FAIT CONNAÎTRE CE LUI EST ARRIVÉ, CAR LE TABAC CONTIENT DU POISON ET LE POISON EST INUTILE A LA SANTÉ. »
Cet exemple, ajoute M. RIETHMULER, Inspecteur Primaire, qui le cite, n'a pas été choisi pour les besoins de la cause et l'auteur dispose en effet, de beaucoup de documents semblables.
D'autre part, voici, toujours de la même origine, le texte d'un ancien élève de l’Ecole, pourvu du C.E.P.E.
« J'AI REÇU VOTRE HONORÉE DU 7 OCTOBRE 1940 DONT J'AI ÉTÉ EN CONFIRMATION DE MA BONNE NOTE.
D'APRÈS VOTRE RÉPONSE, M. LINSPECTEUR, JE L'AI TRANSMISE A L'ISRAÉLITE QUE JE VOUS AI PARLÉ M'A DIT DE VOUS ÉCRIRE DE NOUVEAU ET VOUS PRIE, MONSIEUR L'INSPECTEUR, DE M'ÉCRIRE EN PAPIER SOUS MON NOM A REMETTRE AU CHEF DE CETTE DITE VILLE QU’IL LES GOUVERNE, AFIN QU'IL LEUR AUTORISE DE COMMENCER L'OUVERTURE DUNE ÉCOLE PAR EUX-MÊMES JUSQU'A L'ALLIANCE SERA PRÊTE, CELA SE RENOUVELLERA AUSSITÔT. »
Et M. RIETHMULER ajoute : « Dans les deux documents on constate : un vocabulaire très étendu, un peu trop littéraire, une orthographe impeccable, mais une invraisemblable lacune en ce qui concerne l'intelligence grammaticale de la phrase française. »
Avec M. THABAULT concluons : « D'un côté, on enseigne le français sans enseigner la grammaire, et on obtient d'excellents résultats parce qu'on fait parler les enfants, parce qu'on a méthodiquement monté en eux des mécanismes de la langue parlée avant de les faire écrire et de les amener à réfléchir à leur savoir.
« D'un autre on obtient, malgré un effort dont nous n'avons pas idée, des résultats très décevants parce que, si on enseigne l'orthographe, le vocabulaire, la grammaire, on ne fait pas parler les enfants ; on est censé les faire réfléchir sur des mécanismes grammaticaux dont ils n'ont pas l'usage.
« Rien ne saurait nous démontrer avec plus d'évidence le caractère défectueux de l'enseignement grammatical: il n'est pas indispensable pour assurer la possession du mécanisme du langage :: il est insuffisant pour en donner l'essentiel. »
Voilà ce que donne en réalité le montage des mécanismes en rédaction sur la base des règles de grammaire. La méthode est définitivement condamnée.
LA GRAMMAIRE CONDAMNÉE
Cette condamnation, si les scoliastes la contestent, tous les grands éducateurs l'ont formulée, d'une façon plus ou moins définitive :
« Je tiens pour un malheur public, écrivait Anatole France, qui s'y connaissait (A. FRANCE. Pierre Nozière.) qu'il y ait des grammaires françaises. Apprendre dans un livre, aux écoliers français, leur langue natale, est quelque chose de monstrueux quand on y pense.
Etudier comme une langue morte la langue vivante, quel, contresens !
Notre langue, c'est notre mère et notre nourrice ; il faut boire à même ; les grammaires sont des biberons. Et Virgile a dit que les enfants nourris au biberon sont indignes de la table des dieux et du lit des déesses. »
Nous donnons, ci-dessous, une liste de citations que chacun d'entre vous pourra d'ailleurs compléter. Il serait intéressant notamment d'interroger les écrivains en renom, et ceux qui le sont moins, les journalistes et les secrétaires, de demander à quelques-uns d'entre eux de répondre aux questions courantes du C.E.P.E. On se rendrait compte alors plus ostensiblement encore de l'inutilité de la grammaire pour l'apprentissage de la langue écrite, (ne parlons pas de la langue parlée où nul ne se réfère à la Grammaire).
« Il faut avouer loyalement que la connaissance minutieuse des règles actuelles ou périmées de la grammaire ne confère pas nécessairement l'art de bien parler ou de bien écrire en français.
Déclarons donc sans réticence, ni timidité, que la meilleure méthode d'enseignement, c'est la pratique de la langue courante dans un milieu cultivé, l'habitude d'un vocabulaire, d'une syntaxe, d'un langage, simples, clairs, corrects, faciles et spontanés. Quiconque aura reçu cette éducation que rien ne remplacera complètement, ignorera peut-être ce que c'est que le passé antérieur ou l'imparfait du subjonctif, mais se servira de ces formes dangereuses avec l'heureuse sécurité de l'inconscience. » FONTAINE (Pour qu'on sache le Français, p.I).
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« Je crois être en droit de dire qu'on fait de la grammaire une plus grande affaire qu'il est besoin. » - LOCKE (de « L'Education des Enfants », 1695).
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« Substituer à l'habileté dans l'art de coller des étiquettes, une étude sérieuse du langage modelé sur la pensée, dût la nomenclature en souffrir, voilà évidemment le but à atteindre. » - FONTAINE (Le problème grammatical).
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« Il faut avouer et reconnaître loyalement que la connaissance minutieuse des règles n'est pas aussi indispensable qu'on pourrait le croire à qui veut parler ou écrire correctement. On peut soutenir qu'il y a un enseignement intuitif et en quelque sorte empirique de la langue française et que la forme didactique n'est pas indispensable. Ce qui importe, c'est la pratique des règles et non leur connaissance théorique. » - DELFOLIE, I.P.
*
« On ne construit pas une langue à partir de la grammaire.
a) Une langue n'est pas faite par les grammairiens; elle est l'oeuvre d'un peuple, une oeuvre collective; elle se forme lentement au cours des siècles, et ce n'est qu'à la longue qu'elle arrive à fixer sa forme à peu près définitive. C'est alors, mais alors seulement, que les savants l'étudient, dégagent les règles souvent incertaines d'après lesquelles elle paraît s'être développée. (Albert Dauzat).
b) D'un ensemble vivant et concret, elle tire des abstractions, et ce n'est pas en assemblant celles-ci qu'on peut reconstituer cet ensemble et surtout lui redonner de la vie.
Etant donné le but que nous nous proposons en Alsace, l'enseignement de la grammaire n'est pas indispensable.
Des expériences le prouvent.
Dans des hameaux de la Dordogne patoisante et dans des écoles de la brousse africaine, M. Davesne, directeur de l'Enseignement en A.E.F., a tenté d'enseigner le français sans recourir à la grammaire. Les résultats ont été surprenants, en particulier pour l'orthographe de règles qui, en apparence, dépend si étroitement de la grammaire. »
RIETHMULER, I.P. (Haut-Rhin).
*
« Ce qui intéresse l'enfant, ce qu'il peut et doit savoir, c'est le français et non la grammaire française. » - (BRUNO, professeur d'histoire de la langue française à la Sorbonne, et BONY, inspecteur de l'Enseignement primaire, dans la préface à leur livre du Maître de la méthode de la langue française, 2e livre.)
*
« La circulaire ministérielle du 28 septembre 1910 qui « enjoint » de rompre avec cette idée fausse que la grammaire est toujours conforme à la logique. »
« La grammaire est l'objet d'une répulsion universelle. Les enfants n'en font que par contrainte et par dégoût. Ils n'y trouvent aucune espèce d'intérêt.
Le cerveau de l'enfant est à peu près incapable des abstractions dont la grammaire est pleine... Plus l'enfant est intelligent, moins il est capable de grammaire, parce que la grammaire est quelque chose d'absurde.
L'enseignement grammatical demeure, avec la théologie, dans notre âge moderne, le seul reste vivant du Moyen âge, la seule forme actuelle de la scolastique. »
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« Etudier la grammaire, c'est se pencher sur un formalisme dont les mécanismes n'ont aucun rapport avec ceux de la pensée.
Nous ne retiendrons que le fait incontestable : la grammaire reste à faire. C'est plus que nous ne demandions. Nous nous inquiétons de savoir si la grammaire a sa place à l'école primaire. Ce souci ne répond à rien puisque à la question que nous nous étions posée : Qu'est-ce que la grammaire ? Il faut répondre que la science grammaticale n'existe pas et que la grammaire que nous enseignons est un pur fatras. » - CABUS, I.P., Lyon.
*
« Nous savons le français sans nous donner la peine de l'apprendre. Il suffit d'écouter ceux qui parlent bien et de lire des auteurs qui ont bien écrit. Il semble que ce bienfait de la nature nous ait déplu parce qu'il était gratuit. Nous avons cherché le moyen de faire payer chèrement aux écoliers ce qu'ils pouvaient avoir pour rien, et nous l'avons trouvé. On a traité la langue maternelle comme une langue morte ; on l'a hérissée de grammaire, d'orthographe et d'analyse ; on a élevé autour d'elle un rempart de règles et d'abstractions comme pour dégoûter sans retard les enfants de l'étude ; on les a jetés à peine sortis des bras de la nourrice dans les halliers du participe et dans les broussailles de l'imparfait du subjonctif.
Je voudrais qu'on épargne aux élèves la torture de la grammaire; l'orthographe d'usage leur viendra d'ellemême. Quant aux règles, on les leur enseignera en peu d'heures, lorsqu'ils seront en état de les comprendre. Je ne parle pas des analyses logiques et grammaticales qui semblent n'avoir été inventées que pour tuer le temps de la manière la plus ennuyeuse et la plus triste » - Raoul FRARY (La question du Latin).
« A six ans, sans art, sans grammaire, sans fouet, sans larmes, j'avais appris du latin aussi pur que mon maître le parlait ». - MONTAIGNE.
*
« Je n'ai pas besoin d'insister sur le vice de ces définitions qui est de n'avoir aucune valeur pédagogique puisqu'elles
sont à peu près incompréhensibles pour l'enfant. Tous ces grands mots ne correspondent à aucune idée. » - BRUNOT.
***
Et voici maintenant, puisées parmi tant d'autres un certain nombre d'usagers qui ne se sont pas contentés d'emboîter le pas, mais qui ont essayé de comprendre et de juger :
« J'ai toujours été « bon » en orthographe, et à dix ans je faisais avec zéro ou une faute les dictées des candidats au C.E.P. (vers 1917). Pourtant, il me souvient de mes terreurs renouvelées les jours de leçons de grammaire. A tel point que, dans mon enfantine superstition, tout en faisant semblant de relire ma leçon, je joignais les doigts et récitais quelque prière en vue de ne pas être interrogé ». D.
*
« J'ai appris la langue écrite empiriquement et j'ai appris la grammaire après, vers ma quatorzième année. Les règles délicates (accord des verbes pronominaux, par exemple) n'ont été connues de moi qu'à l'âge adulte, alors que j'exerçais déjà ». – C.
« L'analyse, qu'elle soit « grammaticale » ou « logique » est une énormité à l'école primaire. Je ne suis pas compétent pour savoir si elle est utile plus tard. Quand un enfant sait trouver le verbe, le sujet et le complément d'objet direct (accords du verbe et du sujet, accord des participes), on ne devrait pas lui inculquer autre chose en analyse.
« Certains de mes élèves « forts en analyse » sont plus inaptes que d'autres de leurs camarades dans un texte libre ou un devoir de français ». - R.
*
« Je ne serais pas capable de répondre à toutes les questions de grammaire du C.E.P. je m'en suis aperçu à plusieurs reprises; exerçant dans un C.E., mes connaissances grammaticales sont restées très élémentaires et je ne m'en porte pas plus mal ». - G.
« Quant à la grammaire, Cousinet disait, il y a vingt-cinq ans, que son enseignement devrait commencer après 12 ans... et non d'une manière formelle.
« M. Lafitte-Houssat, auteur de « La réforme de l'orthographe », en bannit déjà toutes les questions de formes pour s'attacher au sens et aux fonctions. »
« La grammaire est en somme « la philosophie du langage ». Elle constitue la théorie de la langue. A ce titre, elle reste discutable et discutée. Et personnellement, je me permets de répondre, quitte à passer pour un prétentieux, que la grammaire ne devrait être enseignée qu'à 16 ans dans ses rapports avec la vie, et sans aucune espèce de préoccupation des détails de forme sur lesquels les grammairiens peuvent discuter à perte de vue. - R. LALLEMAND.
*
« Le meilleur élève en rédaction de la classe est-il fatalement celui qui sait analyser ? Essayez un peu de lui faire expliquer telle ou telle forme de phrases employées et surtout de les analyser...
N'est-il jamais arrivé d'avoir un candidat au C.E.P., bon ou moyen en orthographe et incapable d'analyser ?
Un élève qui sait analyser est-il fatalement un élève extraordinaire en français ?
Pourquoi recommande-t-on alors aux élèves de lire pour apprendre la langue ? C'est parce que le profit à en tirer est nettement supérieur à une analyse, fut-elle bien conduite !...
Brunot ne disait-il pas qu'il n'y a rien de plus illogique que l'analyse logique ? »
*
« Malade, cloué sur un lit d'hôpital, de 8 ans 1/2 à 12 ans 1/2, j'ai quitté l'école au sortir du C.E. 2. je n'ai connu, pendant cette période, que deux heures de classe par semaine (orthographe et calcul). Cependant, j'ai eu le loisir de dévorer à longueur de journée livres, journaux, revues, tout ce qui me tombait sous la main car j'étais passionné de lecture.
A 13 ans, après quelques mois de « bourrage » (de Pâques à l’examen), j'ai obtenu le C.E.P. et suis entré au C.C.
Là, je me suis rendu compte de mes lacunes, particulièrement en orthographe où j'étais nul.
Pourtant, j'ai manifesté une grosse supériorité sur mes camarades en français. J'étais en avance sur eux de plusieurs années. Il n'était pas question d'une aptitude particulière car, par la suite, mes camarades m'ont rattrapé et même dépassé. J'ai d'ailleurs toujours préféré sciences et maths.
Je devais donc cette maîtrise exceptionnelle de la langue, à 13 ans, uniquement à mes lectures. Depuis, je ne pense pas, malgré mes études, avoir amélioré mon style. Je précise que j'ignorais alors à peu près tout de toute grammaire et que je l'ai apprise (ainsi que l'orthographe) depuis que je l'enseigne. - M. G.
« J'ai eu le cas dans ma classe - une petite fille, Francine, qui à 9 ans ne se trompait jamais dans ses accords de participes passés - ceci grâce aux fichiers Lallemand. Et qui, du jour où elle a eu connaissance de la règle, s'est mise à faire des fautes régulièrement et ce, pendant très longtemps. La règle l'avait troublée. Depuis, cette gosse exceptionnellement forte en style et en orthographe se refuse complètement à l'étude des règles. » - S. (Nord).
*
« VOUS CHANTEREZ APRÈS... »
Si la grammaire est inutile, son étude arbitraire est nuisible
Si le processus traditionnel d'acquisition est erroné, son usage à l'Ecole ne peut qu'en être dommageable.
Ce n'est pas tant le fait d'étudier les règles par cœur - ce qui n'est pas grave - que la dissociation que les processus scolastiques produisent dans la vie et le comportement des enfants.
Dès cinq et six ans ils s'expriment avec un langage imagé, parfois poétique, qui fait l'enchantement des parents. A dix, onze ans, ils connaissent et parlent de tout. Ils ont en eux déjà une richesse sur laquelle nous n'aurions plus qu'à bâtir.
L'Ecole les fait asseoir sagement, croiser les bras et se taire, en attendant de savoir écrire selon les normes, Tout se passe comme si l'Educateur parâtre disait hargneusement à ses élèves :
« - Ah ! vous croyez savoir écrire et rédiger ! Mais c'est une autre affaire que de raconter vos histoires dans la cour de la récréation et en famille. Rédiger en bon français c'est difficile : il vous faut d'abord connaître les règles et ensuite faire les exercices que nous vous indiquerons, sinon vous resterez des ignorants. »
Comme si on allait dire à un adolescent à la voix d'or : vous n'allez pas chanter ainsi, au hasard, pour gaspiller vos efforts. Il vous faut d'abord connaître les règles du chant. Vous chanterez après.
Et tout le monde s'incline. On étudie les règles ; on écrit comme l'indiquent les manuels. Et lorsque, ayant assez étudié, on serait en droit d'écrire, le charme est rompu. On ne sait plus que dire. L'élève naguère curieux et bavard n'a plus d'idée. Il faut que le maître les lui suggère ou les lui prépare. Le tout aboutit aux honnêtes rédactions du C.E.P.E., où les phrases sont correctes, mais vides de pensées et de sentiment,, banales à en pleurer.
C'est ainsi que l'Ecole, malgré tout ses efforts, prépare une masse d'enfants analphabètes parce que, bien que sachant lire et écrire, ils sont incapables d'exprimer par la plume les difficultés de leur vie, leurs joies et leurs et leurs rêves. Ils ont besoin que des étrangers à leur milieu traduisent, en les trahissant plus ou moins leurs propres sentiments.
Il en résulte que si le peuple possède ses orateurs, un domaine où on n'a pas encore imposé de règles il ne possède pas ses écrivains et, de ce fait, n'est pas encore majeur.
Nous ajouterons que la peur de la règle, de la loi et de ses défenseurs paralyse les individus, les rend hésitatits et timides en face de tous les problèmes de culture, alors même qu'ils peuvent être d'une audace invincible dans les domaines du théâtre, du mime, de la musique, de l'expérience scientifique et de la construction matérielle.
Mais on n'en finirait pas d'exprimer nos griefs.
Si tant d'enfants sont aujourd'hui désaxés et désadaptés en face de la vie, les méthodes erronées en portent une large responsabilité.
La preuve en est que lorsqu'on rétablit les circuits normaux, qu'on entraîne les enfants à s'exprimer naturellement, à construire et à créer, ils lèvent la tête, reprennent le regard vif des audacieux, savent intégrer leurs connaissances dans leurs techniques de vie, et acquérir une culture qui n'est pas un assemblage mort de ce qu'ont produit d'autres hommes, mais un potentiel actif et dynamique de création et d'action.
Ces enfants ne se contenteront plus d'écouter; ils n'auront plus besoin d'intermédiaires dans les luttes qu'ils sauront mener pour améliorer le milieu et maîtriser les éléments.
Ils ne seront plus des écoliers plus ou moins ratés ; ils seront des hommes.
L'Ecole alors pourra se vanter d'avoir rempli sa tâche.
Une Méthode
Naturelle de Grammaire
Je sais que ma démonstration, si éloquente soit-elle, ne vous convaincra pas d'emblée. Les nombreuses citations dont nous avons fait état vous paraîtront elles-mêmes suspectes.
Vous voudriez - et vous avez raison - être sûrs que par la méthode naturelle, vos élèves sauront lire, écrire et rédiger au moins aussi bien que par les méthodes traditionnelles, que leur orthographe n'en sera pas catastrophique - puisse-t-elle être excellente ! - et que leurs succès aux examens n'en seront pas compromis.
Dans l'emploi que nous faisons de nos techniques, nous avons l'habitude de conseiller : « Ne vous lâchez pas des mains avant de toucher des pieds ». Si nous vous recommandons notre méthode naturelle, c'est que nous pouvons vous donner l'assurance que pour l'orthographe, la rédaction, la syntaxe et la grammaire, elle vous vaudra des résultats égaux, sinon supérieurs, à ceux que vous obtenez aujourd'hui avec l'enseignement classique que vous hésitez à abandonner.
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