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L’orthographe à l'école
- Loys
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Recension et commentaire des interventions sur l'orthographe dans le débat public.
* * *
Aujourd'hui, lecture amusée de ce texte de Marie-Anne Paveau dont les réflexions sur l'orthographe sont toujours très instructives : "Les folles (més)aventures de l’orthographe rectifiée au pays du circonflexe" (04/05/12)
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Quelle injustice pour ces esprits visionnaires : la graphie a bien été "modernisée" et simplifiée, mais le moins que l'on puisse dire, c'est que la langue ne s'est pas "épanouie" depuis vingt ans comme en atteste le dernier communiqué du Ministère de l’Éducation nationale qui souligne les reculs importants dans la maîtrise de la langue chez les élèves.À cette époque, je commençais ma thèse sous la direction de l’un des dix signataires du « Manifeste des Dix », court texte paru à la Une du Monde le 7 février 1989, et intitulé Moderniser l’écriture du français : “Seule une langue qui vit et se développe, une langue parlée et écrite aisément par tous, peut se défendre et s’épanouir. Il faut donc moderniser la graphie du français”, écrivait (sic) les dix linguistes.
C'est effectivement plus avisé qu'une pédagogie inefficace.Mais je commençais également mon enseignement de français au collège et au lycée dans l’Oise, où je m’efforçais de mettre en place une pédagogie efficace...
Ce qui est inexplicable est "inenseignable" : l'alphabet, par exemple, ne peut aucunement être appris par cœur par des élèves puisqu'on ne peut pas l'expliquer.J’ai rapidement adopté l’orthographe rectifiée pour des raisons tant linguistiques (régularisation d’un système où certaines formes sont inexplicables donc à mon sens inenseignables) que démocratiques (faciliter l’accès aux apprentissages à des élèves pour lesquels la détention de la culture et de la littéracie légitimes n’est pas une évidence préalable).
C'est bien d'avoir des ambitions "démocratiques" mais employer des anglicismes aussi cuistres que "littéracie" (sic) ne me semblent pas aller dans cette direction.
Passons sur les considérations autobiographiques qui s'ensuivent, surtout intéressantes pour l'auteur elle-même, laquelle dénonce les crispations des défenseurs de l'orthographe avec une certaine... crispation.
Le titre de la partie "Idéologies" donne ensuite le ton. On va donner dans l'iconoclasme salvateur.
Eh oui ! Encore une fois il faut comprendre ce que l'on veut apprendre. L'apprentissage de l'anglais par exemple procède évidemment par compréhension : tous les collégiens peuvent expliquer pourquoi "people" ne se prononce pas comme il s'écrit, ainsi que la moitié des mots anglais.L’orthographe possède en effet une fonction idéologique particulièrement développée et active en France. Ce que j’appelle idéologie en parlant de l’orthographe, c’est un ensemble d’opinions et de croyances qui sont présentées (qui se font passer pour, dirait-on de manière un peu plus marxiste) comme des évidences naturelles et/ou des vérités scientifiques (nénufar en est un bel exemple). Ces aspects idéologiques sont bien connus et bien étudiés, et je me contente de les rappeler :
– assimilation de l’orthographe à langue et son corollaire : on ne maitrise bien la langue que si l’on maitrise l’orthographe ; en fait, ça marche plutôt en sens inverse et l’essentiel est de comprendre les graphies, surtout quand elles sont liées à des marques grammaticales (comme les marques nominale et verbale du pluriel par exemple). Comprendre, et non pas apprendre par cœur des listes, comme il est préconisé dans la dernière circulaire ministérielle sur l’orthographe.
Qu'une chose soit dénaturée n'implique absolument pas qu'elle soit naturelle, puisque "dénaturer" signifie "changer de nature". L'argument est donc spécieux : personne ne défend le caractère naturel de la langue. Ou comment caricaturer le débat...– attribution à l’orthographe d’un statut de « lieu de mémoire » linguistique : les signes diacritiques, comme le fameux accent circonflexe, généralement dépourvu de fonction linguistique sur le i et le u (sauf quand il sert à discriminer des homographes comme sur/sûr) mais investi d’une forte dimension étymologique (il signale la plupart du temps une ancienne graphie, comme dans fenêtre dont la graphie antérieure est repérable à l’état de trace dans défenestrer) ou les lettres étymologiques (dans doigt, vingt, temps, sculpture, etc.) sont jugées indispensables au système de la langue par les partisans de l’orthographe traditionnelle car la langue, sans eux, serait « dénaturée ». Mais s’il y a quelque chose qui n’est pas naturel, c’est bien la langue, produit humain social, uniquement social…
Quant au "lieu de mémoire", bien sûr que la langue est dépositaire d'une histoire séculaire. Ses irrégularités mêmes ont une histoire qu'il est passionnant de connaître pour tous les amoureux de la langue. On ne peut que frémir quand on voit des intégristes du phonétisme appeler à une simplification radicale ou une autre de la langue qui est la nôtre.
Ce qui est scandaleux : car l'écriture est à l'évidence un acte sans destinataire, qui n'implique en rien quelqu'un d'autre.– attribution à l’orthographe d’une fonction axiologique : l’orthographe serait une valeur, en particulier esthétique (le fameux « amour de la langue » ou le sentiment de « beauté de la langue » qui poussent certains locuteurs à rejeter des formes qu’ils jugent « laides » ou « malsonnantes ») et morale (une « mauvaise » orthographe est une « impolitesse » ou un « irrespect »). Une partie de l’idéologie qui se cristallise autour de l’orthographe me semble bien résumée par cette sélection de tweets de Bernard Pivot, rassemblés fort à propos, mais sans doute pour des raisons un peu différentes des miennes, par un professeur de mathématique sur son blog pédagogique. On y constate à plusieurs reprises que l’orthographe est bien considérée comme une valeur et par conséquent elle-même prise dans un réseau de valeurs : la propreté, la politesse, le respect.
Faux débat déjà évoqué plus haut...L’orthographe est surtout présentée par Bernard Pivot comme un don naturel (« Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir naturellement une bonne orthographe »), ce qui est sans doute l’erreur la plus grossière et l’affirmation la plus idéologique et excluante de la série, car elle ouvre à toutes les stigmatisations par naturalisation, selon une idéologie du « don » (ah, la figure de l’élève doué…) que l’on connait bien par ailleurs. Une orthographe « naturelle », ça n’existe pas.
On n'est jamais mieux cité que par soi-même.On comprend donc que c’est l’axiologisation de l’orthographe qui la rend idéologique (on trouvera une bibliographie importante sur ces aspects normatifs, axiologique et idéologiques dans l’ouvrage de synthèse La langue française, passions et polémiques. Voir en particulier le chapitre 4 consacré à l’orthographe et rédigé par mes soins).
Et là on n'est pas dans la caricature non plus... La défense de l'orthographe est "toujours sans argumentation"L’orthographe est de ce fait un serpent de mer increvable du débat culturel en France, qui prend toujours les mêmes formes, celles des attaques d’opinion voire d’indignation, mais toujours sans argumentation.
C'est surtout quand on prend conscience des difficultés incommensurables des élèves pour s'exprimer à l'oral comme à l'écrit dans les quartiers défavorisés que les discours pédago-relativistes et empreints de bons sentiments et de pédanterie peuvent légitimement susciter une certaine colère.Le ton monte vite, les attaques ad personam fusent, l’appel au stéréotype est omniprésent, l’argument idéologique asséné sans sommation. La langue serait en danger, son corps symbolique serait maltraité, la décadence est proche, l’écriture phonétique menace, le français ne sera plus qu’un gigantesque sms…
Et si l'"insécurité linguistique" provenait des dysfonctionnements de l'enseignement de la langue (rejets des méthodes traditionnelles, nouvelles pédagogies, méthode globale, décloisonnement, relativisme pédagogique et laxisme généralisé dans les examens nationaux) ainsi que des réductions des horaires de français dans le primaire comme dans le secondaire, plutôt que de la langue elle-même.Face à cela, les linguistes, surtout les spécialistes de ce domaine si complexe et subtil qu’est la graphie (Brissaud, Chervel, Cogis, David, Fayol, Haas, Jaffré, Manesse, Ronvault, et Anis et Catach qui ne sont plus là mais qui ont tellement, presque tout d’ailleurs, fait pour l’avancée du savoir dans le domaine) doivent rester zen et répéter, inlassablement, que l’orthographe est instable, que ses zones de fragilité découragent les apprenants et les plongent dans l’insécurité linguistique et que la peur de faire des fautes fait faire des fautes : c’est l’hypercorrection, cette attitude qui consiste à surjouer fautivement la norme dans ses marques de prestige.
Comme je le disais plus tôt, la langue s'est simplifiée depuis vingt ans : est-ce à dire que les élèves sont devenus idiots ?
Encore un magnifique anglicisme on ne peut plus nécessaire. C'est vrai que le circonflexe résume à merveille les difficultés de nos élèves. Ou comment présenter un problème d'une immense gravité, l'incapacité à écrire, comme un problème futile . Comme c'est souvent le cas, ceux qui maîtrisent parfaitement la langue et les savoirs font mine, en bons Tartuffes, de ne pas y accorder d'importance. En réalité, c'est bel et bien une forme de discrimination qui est ainsi perpétuée au nom d'ambition "démocratiques".L’accent circonflexe en est une et, après une première étude sur la question qui montre à quel le problème est sérieux pour les utilisateurs de… Blackberry, je prépare la seconde à partir d’une collection de ces « faux » accents de prestige dont la variété s’accroit de semaine en semaine : alors que les classiques du genre étaient plutôt faîtes et dîtes, je recueille maintenant des répît, brêve, débât, râté, etc. Ils sont particulièrement fréquents sur l’internet, ce qui montre aussi qu’il s’agit là d’une zone orthographiquement insécure.
On y arrive : le point Godwin est attribué.Et effectivement, parmi les figures qui peuplent la toile, se trouve, outre le troll et le bisounours, le grammar nazi, intraduisible en français et dans les langues européennes je pense, pour des raisons historiques (c’est en tout cas l’hypothèse que je défends dans ce billet sur la figure du grammar nazi). Je l’appelle pour ma part de manière plus mitigée la « sentinelle de la langue », qui dort en chacun de nous.
Tout défenseur de l'orthographe, tout professeur, tout instituteur, tout maître d'école est au fond un fasciste. On retrouve là l'idéologie de Bourdieu et son concept d''autorité pédagogique", ou encore Roland Barthes et sa fameuse phrase : "La langue est fasciste". Allez dire à un élève de milieu défavorisé qui ne sait pas écrire que la langue est fasciste, et qu'il a raison de ne pas la connaître.
C'est vrai quoi : exiger de gens qui écrivent qu'ils respectent l'orthographe et leurs lecteurs, c'est d'un commun et d'un vulgaire.Quand j’ai ouvert mon premier blog, je me suis posé la question des rectifications. Mais on sait à quel point les commentaires sur les fautes de langue sont nombreux dans les commentaires, quel que soit le thème abordé : qu’il s’agisse de blogs de shopping ou de littérature, de politique ou de course à pied, les commentaires finissent toujours par trouver le chemin de la grammaire, de l’orthographe, ou du vocabulaire.
Ce ne serait pas un appel à l'autorité fasciste pour appliquer de force l'orthographe rectifiée ?Les textes ministériels, qui auraient évidemment un rôle moteur dans leur diffusion, surtout depuis leur apparition dans les programmes du primaire de 2007, les ignorent : le dépliant récemment édité par le ministère, intitulé « L’orthographe et son enseignement », n’aborde pas la question et n’applique évidemment pas les rectifications.
Le problème de ces deux orthographes superposées, c'est que précisément la seconde n'est pas imposée ("Les rectifications proposées en 1990 restent une référence mais ne sauraient être imposées.(...) Dans l'enseignement aucune des deux graphies (ancienne ou nouvelle) ne peut être tenue pour fautive.")... Si un professeur doit corriger les copies de ses élèves en acceptant l'orthographe de 1990, il peut écrire avec l'orthographe traditionnelle : c'est donc un problème de schizophrénie pédagogique qui explique en partie l'échec de l'orthographe rectifiée depuis vingt ans.
L'autre raison sans doute est ailleurs : et si ces rectifications pour finir n'étaient pas appliquées parce qu'elles-mêmes discutables et arbitraires ? Car changer la langue autoritairement est plus arbitraire que conserver une langue qui a une histoire, même si elle n'est pas toujours rationnelle.
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Merci à Gaëlle Picut.
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7 ans, ça commence à être un marronnier le niveau d'orthographe dans le supérieur.
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Frist écrit: 7 ans, ça commence à être un marronnier le niveau d'orthographe dans le supérieur.
Et pourtant il y en a qui pensent encore que le niveau n'a pas baissé. Comme quoi ça a du mal à rentrer.
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A lire dans "Le Figaro" du 2/04/13 : "Une dictée pour réconcilier les ingénieurs avec l’orthographe" .
Extrait :
Pour sa septième édition, l’École centrale d’électronique (ECE) a soumis près de trois cents étudiants ingénieurs à une dictée. Ils ont fait 26 fautes en moyenne.
«Oui, les ingénieurs et futurs manageurs savent écrire!». Pour s’en assurer, l’École Centrale d’Électronique (ECE) de Paris organise depuis 2007 une dictée pour les amoureux du français. Rédigée et proposée par Line Sommant, fondatrice des Dicos d’Or, l’exercice a pour ambition de créer un «événement fédérateur et ludique, afin de réconcilier les futurs ingénieurs et les étudiants en sciences avec l’usage de la langue française».
Placée sous le thème de la semaine de la langue française et de la Francophonie ,la septième édition de la dictée a rassemblé le 21 mars, 254 élèves issus de 67 établissements français.
L'affirmation en gras mérite d'être quelque peu nuancée puisqu'il s'agit d'un concours sur inscription ouvert "aux jeunes scientifiques et aux étudiants en filière commerciale ou économique, inscrits dans un établissement français pour l’année scolaire 2012-2013" ( source ). De quoi relativiser le nombre de candidats sur toute la France et la réflexion sur le niveau général...
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Le niveau en français est faible, pour l'ortografe (dont je ne suis ni un connaisseur ni un fan) c'est d'autant plus paradoxal qu'il n'a peut-être jamais été aussi facile de s'améliorer qu'aujourd'hui, grâce au web. L'expression écrite là c'est une langue étrangère, c'est un peu comme l'anglais. Mais que dire de la lecture, combien de fois nos ingénieurs scientistes du forum se sont-ils fait piéger en "devinant" au lieu de se contenter de lire ce qui était écrit ?Loys écrit: A lire dans "Le Figaro" du 2/04/13 : "Une dictée pour réconcilier les ingénieurs avec l’orthographe" .
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Oui et non. Oui car bien sûr, en cas de doute, l'information est à portée de main et n'importe qui peut vérifier l'orthographe d'un mot. Non parce que le web comme la plupart des technologies numériques corrigent automatiquement les mots. Si on tape "batau" sur google, on aura bien tous les résultats correspondant à "bateau". Si on fait une erreur d'accord sur Word, parfois elles sont corrigées automatiquement, et sinon un petit soulignage vert, un clic droit, la première proposition et hop c'est plié. Et que dire des téléphones sur lesquels la complétion automatique termine votre mot à votre place. Plus besoin de retenir l'orthographe d 'un mot puisque celui-ci sera corrigé automatiquement. Alors oui, l'information est là, mais comme pour tout il faut se donner la peine d'aller la chercher. Et comme les outils modernes nous épargnent cette peine...Wikibuster écrit: c'est d'autant plus paradoxal qu'il n'a peut-être jamais été aussi facile de s'améliorer qu'aujourd'hui, grâce au web.
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